samedi 27 septembre 2014

La propagande agressive de l’État islamique détourne les recrues d’Al-Qaïda


par John Rossomando
IPT News
20 août 2014

Traduction française : Johan Bourlard

Les succès enregistrés sur le front par l’État islamique, anciennement État islamique en Irak et en Syrie (EIIS), pourraient se traduire en véritable compétition avec Al-Qaïda concernant la fidélisation des recrues djihadistes.

Ces succès ont inquiété les experts du renseignement. Al-Qaïda et l’État islamique sont désormais engagés dans une lutte pour devenir la « première organisation terroriste », a déclaré dimanche Mike Rogers, président du House Intelligence Committee.

Dans l’émission « Face the Nation » de la chaîne CBS, Rogers a déclaré : « Avant le 11-Septembre, il existait contre les États-Unis des courants d’un niveau de menace similaire. Assez sérieux donc. Comme chacun le sait ils sont entrés et ont dirigé les attentats du 11-Septembre. À présent, on est face à une multiplicité d’organisations, toutes du type d’Al-Qaïda, qui tentent de faire la même chose. »

L’État islamique possède des avantages tactiques par rapport à Al-Qaïda, qui a officiellement renié l’EIIS en février. Ces avantages comportent également au moins un milliard de dollars en métaux précieux, tanks, hélicoptères et armes lourdes ainsi que le contrôle d’une zone aussi grande que l’Indiana, a ajouté Rogers.

Rogers a également fait remarquer que l’État islamique percevait grâce aux ventes illicites de pétrole environ un million de dollars par jour. En outre, les terroristes de l’État islamique sont mieux entraînés que leurs actuels concurrents d’Al-Qaïda.

La capacité de l’État islamique à concurrencer Al-Qaïda dans l’engagement de nouvelles recrues, avec l’espoir de devenir la première organisation terroriste du monde, provient en grande partie de la propagande agressive qu’il mène sur les réseaux sociaux. Chaque jour, ses partisans font la promotion virtuelle de leurs victoires sur Twitter.

Des vidéos et des images montrant les violences perpétrées par les combattants de l’État islamique racontent aux recrues potentielles que, si elles rejoignent le djihad, elles combattront pour mettre fin aux divisions entre les musulmans et reprendre les gloires perdues que sont Jérusalem et Al-Andalus (l’Espagne). La décapitation du reporter américain James Wright Foley ainsi que la menace de tuer le journaliste Steven Joel Sotloff en représailles aux bombardements américains, vont sans aucun doute renforcer l’aura de l’organisation auprès des djihadistes les plus farouches.

À présent, certaines sources indiquent que l’État islamique a recruté 6.300 hommes en Syrie au cours du mois de juillet – dont environ un millier de combattants étrangers. Selon les premières estimations, le groupe terroriste comptait un total de 15.000 membres. L’intensification du recrutement a suivi les succès de l’État islamique en Irak où l’organisation s’est emparée d’un stock important d’armes américaines.

Tout semble indiquer que l’État islamique veut s’étendre au-delà de l’Irak et de la Syrie et de prendre une envergure planétaire qui le ferait rivaliser avec Al-Qaïda.

En Indonésie, des milliers de djihadistes ont fait serment d’allégeance au dirigeant de l’État islamique, Abou Bakr Al-Baghdadi, après une campagne agressive de recrutement menée par l’organisation dans les 16 provinces de l’archipel. À Aceh, province située dans l’ouest du pays, on a pu observer une infiltration massive de terroristes partisans de l’État islamique.

Un homme identifié comme étant Abu Jundullah, et qui serait le chef du mouvement islamiste à Aceh, a déclaré que son organisation s’était placée sous l’autorité directe d’Al-Baghdadi. Abu Jundullah a également précisé que son mouvement ne déclare pas être la branche indonésienne de l’État islamique.

L’État islamique publie un magazine djihadiste, Al-Mustaqbal, qui a été diffusé dans la province indonésienne de Java. Cette publication est semblable au magazine Inspire diffusé par Al-Qaïda dans la péninsule Arabique. Les dirigeants indonésiens et de la Malaisie voisine sont particulièrement inquiets. Ces sept derniers mois, la Malaisie a arrêté 19 suspects ayant des liens avec l’État islamique. Ces derniers ont dit à la police qu’ils avaient projeté de s’attaquer au gouvernement malaisien, aux nightclubs et aux bars de Kuala Lumpur ainsi qu’à une brasserie Carlsberg située à Petaling Jaya.

Une série de descentes de police effectuées dans la province indonésienne du Java oriental a conduit à d’autres arrestations de terroristes de l’État islamique et à la saisie d’armes, de drapeaux de l’État islamique et d’écrits faisant l’apologie du djihad.

Dans les îles voisines des Philippines, des djihadistes ont également manifesté leur soutien à l’État islamique. Ces dernières semaines, ce sont des djihadistes d’Abou Sayyaf aux Philippines, suspectés d’avoir des liens avec Al-Qaïda, qui ont fait allégeance à Baghdadi. Un porte-parole du groupuscule des Combattants islamiques pour la liberté de Bangsamoro (en anglais, BIFF) a déclaré à l’Agence France Presse que son organisation était alliée avec Baghdadi et l’État islamique.

En Espagne, des djihadistes de la mouvance de l’État islamique ont manifesté leur désir de faire revenir l’Espagne à son passé islamique. En juin, l’un d’eux a publié sur Twitter une photo du drapeau noir de l’État islamique face au palais médiéval de l’Aljaferia à Saragosse avec l’inscription « Nous reviendrons pour toi #Andalousie. Soutien en #Espagne. »

Jeudi, les autorités espagnoles et marocaines ont arrêté neuf hommes suspectés de recruter des djihadistes au bénéfice de l’État islamique.

« Le réseau qui a été démantelé était actif dans le recrutement, le soutien financier et l’envoi de djihadistes au profit de l’organisation terroriste État islamique », selon la déclaration du ministre espagnol de l’Intérieur.

En Jordanie, un groupe salafiste portant le nom de « Fils de l’appel au Tawhid et au Djihad » a proclamé sa loyauté envers Baghdadi. Cet organisme, qui compte 6000 membres, pourrait devenir la cinquième colonne de l’État islamique en Jordanie. Les inquiétudes se multiplient dans ce pays qui pourrait devenir la prochaine victime de l’État islamique. Une vidéo apparue en juillet et montrant des salafistes dans la province de Zarqa en train de proclamer leur loyauté envers Baghdadi n’a fait qu’ajouter au malaise.

Au début de ce mois, le politologue et ancien ministre jordanien, Taher Al-Adwan écrivait : « Nous devrions toujours nous rappeler que l’État islamique est présent sur notre flanc oriental (dans la province irakienne de Anbar) et grandit dans l’est et le sud de la Syrie. »

Al-Adwan a également appelé les autorités jordaniennes à accorder plus d’attention au renforcement du front interne contre une possible incursion de l’État islamique. Les autorités jordaniennes font face à une recrudescence d’appel de ses citoyens à agir contre les djihadistes pour s’assurer que l’État islamique ne pose ne fut-ce qu’un seul pied dans le royaume.

Malgré ces avancées de l’État islamique, la plupart des dirigeants d’Al-Qaïda se sont montrés peu enclins à rompre avec Ayman Al-Zawahiri et à reconnaître Al-Baghdadi comme calife. Les prétentions d’Al-Baghdadi ont été accueillies avec mépris par les dirigeants de nombreux franchisés d’Al-Qaïda. Abu Qatada, un religieux lié à Al-Qaïda en Jordanie, a accusé Al-Baghdadi de « déviation » et a émis une fatwa déclarant « nulle et non avenue » la proclamation du califat.

Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA) a coupé court au soutien à Al-Baghdadi en tant que calife mais cela ne l’a pas empêché de faire l’éloge de l’État islamique. La semaine dernière, l’AQPA a appelé à combattre les États-Unis et s’est déclaré solidaire avec l’État islamique face aux frappes aériennes américaines en Irak.

Le mois dernier, c’est le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, qui a déclaré de vive voix son soutien à Al-Baghdadi peu après la proclamation du rétablissement du califat.

jeudi 25 septembre 2014

Think tanks à vendre ou à louer


par Daniel Pipes
National Review Online
15 septembre 2014

Version originale anglaise : Think Tanks for Sale or Rent
Traduction française : Johan Bourlard

Ce sont de curieuses révélations qui ont été publiées le 7 septembre dans le New York Times. Dans un article de 4000 mots intitulé « Foreign Powers Buy Influence at Think Tanks » [les puissances étrangères achètent leur influence auprès des think tanks], Eric Lipton, Brooke Williams et Nicholas Confessore se sont penchés sur la question pour le moins originale du financement des think tanks américains par des gouvernements étrangers.

Les trois auteurs ont découvert que, même si l’ampleur de la situation « est difficile à déterminer » on sait que « depuis 2011, au moins 64 gouvernements étrangers, entités contrôlées par un État ou représentants gouvernementaux ont soutenu financièrement 28 organismes de recherche de premier plan basés aux États-Unis. » Utilisant le peu d’informations disponibles, ils estiment à « un minimum de 92 millions de dollars le montant des contributions et autres engagements financiers versé par des gouvernements étrangers ces quatre dernières années. La somme totale est certainement plus élevée. »

En échange de ces largesses, les instituts de recherche en question ont accordé aux donateurs deux faveurs importantes. D’une part, ils ont fait pression sur leurs propres services à la fois pour « réfréner la critique à l’égard des gouvernements donateurs » et « arriver à des conclusions favorables aux gouvernements qui ont procuré les financements ». D’autre part, ils ont « incité les responsables gouvernementaux américains à adopter des mesures politiques qui reflètent souvent les priorités des donateurs. » Résultat : l’argent étranger a semé le doute sur la légitimité et l’objectivité des recherches menées par les think tanks alors que cet argent est « en train de transformer de plus en plus radicalement le monde autrefois très discret des think tanks en un puissant levier de lobbying des gouvernements étrangers à Washington. »

Voici ma réponse à cet article qui a fait l’effet d’une bombe :

Certains de ces financements se sont faits dans l’opacité : des think tanks ont ainsi perçu des dessous de table alors qu’ils bénéficiaient d’une réputation d’organismes désintéressés. Parmi les exemples les plus flagrants, citons le gouvernement du Qatar qui, comme le rapporte le New York Times, « a envoyé des centaines de millions à Gaza, dirigée par le Hamas, a encouragé les attaques contre Israël au moyen des tirs de roquettes et des tunnels » et a également signé en 2013 un accord prévoyant un financement de 14,8 millions de dollars sur quatre ans au profit de la Brookings Institution. C’est là que Martin Indyk a œuvré comme vice-président et directeur du Programme de politique étrangère. Indyk a travaillé pour le secrétaire d’État américain John Kerry de juillet 2013 à juin 2014 en tant qu’envoyé spécial pour les négociations israélo-palestiniennes. Dans ces conditions, comment pourrait-on espérer qu’Indyk, bénéficiaire des largesses du Qatar au même titre que l’ennemi juré d’Israël, agisse dans un esprit d’impartialité ?

Le président du Brookings Institute, Strobe Talbott, ne s’est pas excusé et n’a pas montré le moindre embarras par rapport au fait que 12% de ses fonds proviennent de gouvernements étrangers. Bien plus, il a eu l’audace d’affirmer que « les think tanks devraient percevoir de l’argent des gouvernements étrangers. » Usant à son profit de termes à la mode tels que « gouvernance » et de phrases comme « la culture philanthropique est en pleine mutation », il a naïvement affirmé qu’il est « tout à fait opportun que nous travaillions avec des gouvernements quand nous sommes en mesure de fournir une analyse et des solutions à des problèmes auxquels ils sont confrontés dans la vie politique. »

L’article du New York Times révèle – chose surprenante – la corruption d’institutions de gauche telles que la Brookings Institution, le Center for American Progress et le National Democratic Institute. Voilà une attitude aussi honnête et respectable qu’inattendue de la part d’un journal devenu le réceptacle national des banalités creuses et des inepties de la gauche. À l’inverse, les révélations n’ont pas parlé d’un seul centime versé à des organismes conservateurs tels que l’American Enterprise Institute, la Heritage Foundation et le Hudson Institute (si le Times continue à pratiquer un journalisme de ce calibre, je pourrais finir par payer pour son application pour I-Phone !).

De la même manière, à propos du Moyen-Orient dont l’article cite plusieurs pays (Bahreïn, Koweït, Qatar, Arabie Saoudite, EAU) pratiquant ce jeu d’influence et cette corruption, on ne voit apparaître nulle part le nom d’Israël. Cet exemple confirme clairement la thèse présentée par Mitchell Bard dans son livre publié chez Harper en 2010 et intitulé The Arab Lobby : The Invisible Alliance That Undermines America’s Interests in the Middle East [Le lobby arabe : l’alliance invisible qui compromet les intérêts américains au Moyen-Orient]. Comme l’observe Steven J. Rosen, ancien membre de l’American Israel Public Affairs Committee, « si l’on raisonne en termes de moyens et non de résultats, le lobby arabe est égal ou supérieur à tout ce qui a été réalisé par les amis d’Israël. »

En fin de compte les révélations du Times ont placé tous les think tanks sur la défensive. Et même si ce sont des institutions très sélectes comme Brookings qui sont visées, aucun de nous n’est préservé contre le soupçon. C’est pourquoi l’organisation que je préside (et dont le mot d’ordre est la « promotion des intérêts américains ») a immédiatement publié un communiqué de presse « The Middle East Forum Takes No Funds from Foreign Governments » [Le Middle East Forum ne perçoit aucun financement de gouvernements étrangers] déclarant sans aucune ambiguïté que « nous n’avons jamais recherché ni perçu de fonds d’un quelconque gouvernement étranger ni d’un quelconque agent au service d’un gouvernement étranger. Et nous ne le ferons jamais. »

D’une manière générale, comme l’affirme John B. Judis, « le financement étranger des think tanks corrompt notre démocratie. » C’est pourquoi il est temps que tous les organismes de recherche qui se présentent comme des fournisseurs d’analyses objectives, tiennent parole. Sinon, qu’ils indiquent clairement qui a acheté ou payé leurs conclusions.

mercredi 24 septembre 2014

La Maison Blanche accueille un activiste syrien pour qui les rebelles liés à Al-Qaïda sont modérés


par Ravi Kumar
The IPT Blog
19 septembre 2014

Traduction française : Johan Bourlard


La Maison Blanche, qui vient de recevoir l’approbation du Congrès américain pour l’armement et l’entraînement des groupes rebelles syriens combattant le redoutable État islamique, a rencontré cette semaine des représentants syro-américains afin de discuter de la marche à suivre.

Or il s’avère que l’une des personnes consultées est un défenseur et sympathisant de rebelles syriens liés à Al-Qaïda.

Mohamad Alla Ghanem, responsable du Syrian American Council (SAC) en charge des relations avec le gouvernement, faisait mardi la promo de sa visite à la Maison Blanche sur sa page Facebook.

En novembre dernier, Ghanem écrivait au sujet d’un voyage effectué à Doha où il a pu rencontrer le cheikh Yusuf Al-Qaradawi, l’un des guides spirituels des Frères Musulmans qui avait approuvé les attentats contre les troupes américaines en Irak et les attentats suicides contre des Israéliens.

« J’apprécie énormément ce savant estimé », écrivait Ghanem, « et même j’adore sa jurisprudence. Je considère cette rencontre comme un grand honneur. Je suis maintenant sur un nuage. » Pour rappel, Qaradawi avait été interdit d’entrée sur le sol américain et britannique en raison de son soutien au terrorisme.

Mais ce n’est pas la seule fois où Ghanem a encensé les djihadistes.

En décembre 2012, Ghanem a publié dans le Washington Post un article dans lequel il reprochait aux États-Unis d’avoir répertorié Jabhat Al-Nosra parmi les organisations terroristes. Il est clair, écrivait-il, que de nombreux dirigeants de Jabhat sont idéologiquement en phase avec Al-Qaïda mais tous ses membres ne partagent pas ce point de vue. De plus le groupe « a remporté des succès militaires et a fourni une aide importante aux civils. »

Dans un autre article publié il y a une semaine dans The Hill, Ghanem a parlé de l’attentat perpétré récemment par l’État islamique et qui a décapité la direction de l’organisation Ahrar Al-Sham. Cette dernière est peut-être le « groupe rebelle syrien de la ligne la plus dure ». Fondé par le représentant personnel en Syrie du dirigeant d’Al-Qaïda Ayman Al-Zawahiri, le groupe n’en est pas moins le rival de l’État islamique.

Ghanem précisait qu’il ne parlait pas de cette organisation pour l’approuver mais affirmait que c’était « une grande honte » que le soutien américain aux rebelles syriens n’ait pu se faire « par crainte de groupes rebelles comme Ahrar Al-Sham, alors que les Syriens étaient massacrés par milliers. »

Les défenseurs d’un soutien accru des États-Unis aux rebelles syriens reconnaissent qu’il est très difficile de garantir que les armes et l’entraînement ne profitent pas à d’autres groupes radicaux djihadistes. Et le fait que la Maison Blanche prenne sur ce sujet des conseils auprès de Ghanem, dont elle a ignoré ou feint d’ignorer les précédentes déclarations, n’est pas propre à inspirer confiance.

Par ailleurs, l’organisation de Ghanem, le Syrian American Council, a parrainé la visite de Rateb Al-Nabulsi, venu l’année dernière aux États-Unis pour collecter des fonds. Spécialiste syrien du droit islamique, Al-Nabulsi a désigné tous les juifs comme des cibles légitimes d’attentats suicides. Avec un imam, Osama Al-Rifai, venu également aux États-Unis lever des fonds avec l’aide du SAC, Al-Nabulsi siège actuellement au Conseil islamique de Syrie qui a déclaré son opposition aux frappes aériennes américaines contre l’État islamique.

Lien : http://www.investigativeproject.org/4588/la-maison-blanche-accueille-un-activiste-syrien

mardi 23 septembre 2014

D’où vient l’État islamique ?


par Abigail R. Esman
Special to IPT News
12 septembre 2014

Version originale anglaise : Guest Column : Where Did IS Come From ?
Traduction française : Johan Bourlard

À cette question, il y a une réponse toute simple, qui est celle que vous entendrez le plus souvent : l’EI, ou État islamique (anciennement EIIL), est une émanation d’Al-Qaïda qui s’est développée à la faveur de la guerre civile en Syrie et des troubles en Irak.

Mais ce n’est là qu’une partie de la réalité : le reste se trouve en Europe (et même en Amérique), où les gouvernements ont continuellement – même sans le vouloir – financé des programmes qui ont produit de la radicalisation au sein des communautés musulmanes de leurs pays. À présent, de plus en plus de ces musulmans radicaux, dont la plupart sont nés et ont grandi en Occident, rejoignent l’EI et son djihad. Face à cette situation, les dirigeants européens prennent des mesures qui pourraient en fait aggraver la menace.

En réalité, alors que l’EI renforce son ancrage en Irak, les jeunes musulmans européens sont de plus en plus enclins à le rejoindre. Après les scènes horribles de décapitations et d’exécutions perpétrées ces dernières semaines par l’EI, le nombre de jeunes Belges partant rejoindre le groupe terroriste en Syrie a, selon l’agence de sécurité belge OCAM, augmenté de façon significative. Comme l’indique le quotidien belge Het Nieuwsblad : « La hausse récente est frappante et, selon nos informations, elle est due en partie à la propagande importante à laquelle se livre l’EI sur les réseaux sociaux. La diffusion d’images choquantes, comme les exécutions de masse de 250 soldats syriens et l’exécution du journaliste américain James Foley, ne fait apparemment que pousser les jeunes musulmans vers la radicalisation. »

Et la Belgique n’est pas un cas unique.

La semaine dernière, les autorités néerlandaises ont arrêté deux familles originaires de la ville de Huizen alors qu’elles se préparaient à rejoindre le djihad en Syrie. Les passeports des parents et des six enfants, âgés de huit mois à neuf ans, ont été confisqués. À peu près au même moment, le radical hollando-américain connu sous le nom de Jermaine W a réussi à partir pour la Syrie avec sa femme et ses enfants. Jermaine, dont le père était américain, est bien connu aux Pays-Bas en tant que membre du groupe extrémiste néerlandais Hofstad et ami du dirigeant de ce groupe, Mohammed Bouyeri, le terroriste qui a tué le cinéaste Theo Van Gogh. Jermaine a été arrêté en 2004 pour avoir écrit une lettre dans laquelle il projetait d’assassiner l’activiste et alors parlementaire Ayaan Hirsi Ali. Mais il a finalement été relâché en 2006, « faute de preuves suffisantes ».

À l’instar de Jermaine, nombre de ces djihadistes européens voyagent avec leurs enfants qu’ils placent ensuite dans des camps d’entraînement djihadistes dans l’espoir de produire une nouvelle génération plus forte de guerriers islamiques combattant pour l’État islamique. Publié récemment, un reportage de VICE montre un père belge en train d’apprendre à son très jeune fils à tuer les « incroyants », alors que d’autres enfants jouent et s’entraînent avec des fusils.

Cependant, le problème n’est pas né avec l’émigration en Syrie. Il a commencé avec la radicalisation de ces musulmans qui vivaient alors sur le sol européen, se rendaient dans des mosquées européennes et participaient à des programmes européens pour de jeunes musulmans – des programmes créés bien souvent dans le but de prévenir une telle radicalisation. Selon un reportage de l’hebdomadaire néerlandais Elsevier, de nombreuses mosquées présumées modérées ont utilisé les fonds publics pour financer les visites d’imams extrémistes comme Usman Ali, qui a donné des conférences au Greenwich Islamic Center. Selon Elsevier, le cachet perçu par Ali a été payé au moyen d’une subvention publique de 75.000 euros pourtant clairement destinée à « prévenir la radicalisation ». En 2010, Ali faisait partie de ce centre qui à l’époque, percevait jusqu’à 168.000 euros de subventions publiques.

En quelques mots Usman Ali est notamment connu pour avoir montré les vidéos des attentats du 11 Septembre à des enfants tout en s’exclamant « Allah est le plus grand » (Allahu Akbar), selon Elsevier. Dirigeant de ce qu’on a qualifié de « puissant réseau de radicaux islamiques et de condamnés terroristes », il a également été accusé d’avoir inspiré à Micheal Adebolajo et Michael Adebowale l’horrible quasi-décapitation du soldat britannique Lee Rigby non loin de la base militaire de Woolwich, au sud-est de Londres. Interviewé par Al-Jazeera, Ali a nié ces accusations.

Des situations semblables abondent aux Pays-Bas. Le cas le plus emblématique est celui de la Mosquée bleue d’Amsterdam, dont la gestion est assurée, au travers d’un réseau complexe d’organismes et de financements, par les Frères Musulmans, dont la possession est détenue par le gouvernement koweitien et la direction assurée par le ministre koweitien des Affaires religieuses. Parmi les intervenants invités à cet endroit, il y a eu Khalid Yasin, largement connu pour avoir inspiré le terroriste aux sous-vêtements piégés Umar Farouk Abdulmuttalab.

Plus près des États-Unis, la Muslim Association of Canada, qui a reçu des fonds du gouvernement de l’Alberta, a en retour financé le Hamas et l’Islamic Relief and Human Concern International (IRHCI). D’après des documents stockés sur Point de Bascule, un site internet conservateur basé au Canada, « Islamic Relief Canada reprend sur son site internet, huit catégories de personnes bénéficiant de la zakat. Ces huit catégories correspondent exactement à celles répertoriées dans le manuel de droit islamique (charia) intitulé Umdat al-Salik (« Confiance du voyageur »), approuvé par les Frères Musulmans. » L’organisation encourage aussi particulièrement les dons au profit des « musulmans qui font le djihad : ceux qui luttent dans le chemin d’Allah. »

Les gouvernements occidentaux ne savent probablement pas qu’ils financent de tels projets : mais comme le souligne Elsevier, « les services de sécurité allemands mettent en garde depuis des années – comme dans leur rapport annuel de 2007 – que les organisations islamiques modérées peuvent donner naissance à des groupes radicaux. Si elles ne recrutent pas de jeunes pour le djihad, elles les encouragent néanmoins à développer une « identité islamique » forte, ce qui accroit bien plus le risque de radicalisation. »

À présent, l’Europe propose, pour sortir de cette piteuse situation, de nouvelles mesures dont la première est de priver de leur passeport ceux qui partent en Syrie ou qui sont arrêtés aux frontières ou en chemin, à l’instar des deux familles de Huizen.

Mais est-ce là la meilleure réponse ? Les musulmans qui se mettent en route pour aller faire le djihad sont déjà radicalisés. Ils ont déjà tourné le dos à l’Occident et pris l’engagement de le combattre – par la violence et sans merci. Ils sont corps et âme du côté de l’État islamique même s’ils vivent à Paris, à New York, à Amsterdam ou à Détroit. Leur retirer leur passeport ne fait que les maintenir là où ils sont, c’est-à-dire parmi nous qui sommes leurs ennemis, ceux qu’ils projettent de détruire.

La vérité tragique et dérangeante est que c’est nous qui avons contribué à forger leurs idées meurtrières et leur haine de l’Occident. Il s’agit bien de notre erreur. Et nous ne devrions pas en commettre une autre en les gardant ici, parmi nous. Qu’on les laisse partir et qu’on ferme la porte derrière eux.

lundi 22 septembre 2014

Le Hamas et l’art de la tromperie


par IPT News
IPT News
12 septembre 2014

Version originale anglaise : Hamas and the Art of Deception
Traduction française : Johan Bourlard

Les apologistes du Hamas ont coutume d’affirmer que celui-ci constitue, depuis sa seule et unique victoire électorale d’il y a huit ans, un mouvement politique légitime et non une organisation terroriste.

Le Hamas s’est réellement engagé dans la voie politique. Et à ce propos, comme le montre un nouveau reportage de l’armée israélienne, il est passé maître dans l’art politique de la tromperie.

Sur les réseaux sociaux, le Hamas diffuse des messages bien différents selon qu’ils sont rédigés en anglais ou en arabe. Quand il s’adresse en anglais aux Occidentaux, le Hamas minimise l’idéologie islamiste fondamentaliste qui sous-tend ses objectifs et préfère mettre en exergue le nationalisme palestinien, comme le montre cette phrase du leader du Hamas, Khaled Meshaal, citée dans le reportage de l’armée israélienne : « Le peuple palestinien s’engage pour obtenir le droit à disposer de sa terre, pour se défendre et lever le siège imposé à Gaza. »

Quand il s’adresse aux arabophones, le Hamas invoque systématiquement les obligations religieuses pour justifier ses attaques. Le lien renvoie à un hymne dont les paroles sont les suivantes : « Nous, qui avons prêté allégeance à Mahomet, nous engagerons dans le djihad aussi longtemps que nous vivrons. »

La charte du Hamas qui a été traduite en anglais [NdT et en français] invoque des versets coraniques pour justifier ses objectifs que sont le massacre des juifs et la destruction d’Israël. Selon le préambule de la charte : « Israël existe et continuera à exister jusqu’à ce que l’islam l’abroge comme il a abrogé ce qui l’a précédé ».

Dans son travail de modification des messages qu’il publie en vue de plaire à la fois aux publics arabophone et anglophone, le Hamas emprunte une page de l’organisation sœur égyptienne des Frères musulmans. Comme nous l’avons montré dans un article publié lors du soulèvement du Printemps arabe en Égypte, la confrérie a retiré de son site en anglais la partie de ses statuts dans laquelle se trouve un appel à « l’établissement d’un État islamique ».

Lorsqu’Oussama Ben Laden a été tué par des hommes de la marine américaine, la réaction des Frères en anglais a été de reconnaître que « l’une des raisons pour lesquelles la violence est utilisée dans le monde a été éliminée. » Par contre en arabe, le fondateur de l’organisation meurtrière Al-Qaïda était décrit comme un cheikh et un martyr, deux termes d’honneur, et le raid américain comparé à un assassinat.

jeudi 18 septembre 2014

Arguments pour un Kurdistan unifié


par Daniel Pipes
National Review Online
16 septembre 2014

Version originale anglaise : The Case of a Unified Kurdistan
Traduction française : Johan Bourlard


Un Kurdistan uni et indépendant est-il une éventualité souhaitable ou une hypothèse dangereuse qui apporterait au Moyen-Orient plus de problèmes que de solutions ?

Philip Jenkins, éminent professeur d’histoire à la Baylor University, considère l’éventualité d’un grand Kurdistan rassemblant les composantes irakienne, syrienne, turque et iranienne, comme « réellement terrifiante ». J’aimerais lui assurer que cette éventualité peut également avoir des conséquences salutaires.

Le professeur Jenkins fait part de ses craintes dans un article intitulé « The Case Against a Unified Kurdistan » [arguments contre un Kurdistan unifié], qui s’avère être une réponse directe à l’un de mes articles récemment publié dans National Review Online, à savoir « Salut au Kurdistan ».

Comme le suggère son titre, Jenkins ne rejette pas toutes les entités politiques kurdes indépendantes. Il admet en effet l’existence d’un « excellent argument » en faveur de l’entité déjà existante en Irak et semble se résigner quant à la mise en place d’une entité semblable en Syrie. Il reconnaît également que « étant donné la situation dans la région, les Kurdes sont sans aucun doute les bonnes personnes qui constituent ce qui pourrait être un État réellement pro-occidental. » Jusque-là, nous sommes d’accord.

Mais il rejette catégoriquement l’idée d’un Kurdistan unifié, « un projet atrocement compliqué » qui pourrait « répandre les massacres et le nettoyage ethnique » dans des endroits encore épargnés. En Iran, il prévoit qu’une sécession kurde engendrera une « guerre civile sanglante » et « une escalade de massacres durant les prochaines décennies ». En Turquie, un mouvement sécessionniste kurde « serait catastrophique » car il « paralyserait l’une des sociétés qui ont le mieux réussi dans la région », sans parler des violences qui éclateraient en Europe entre les communautés turque et kurde.

En guise de réponse je répliquerais que l’Iran actuel constitue un mini-empire archi-agressif dont on ferait mieux de se débarrasser. Si les dirigeants de la république islamique d’Iran aux idées apocalyptiques parviennent à faire main basse sur l’arme nucléaire, ils mettront en danger non seulement le Moyen-Orient mais aussi l’Occident, par la menace d’une impulsion électromagnétique, ou IEM, une perspective terrifiante qui doit être évitée à tout prix. Étant donné l’inefficacité du leadership américain sous « l’Unique » Barack Obama, il se peut que les Kurdes doivent porter eux-mêmes ce lourd fardeau.

L’Iran est effectivement un mini-empire, comme sa démographie le démontre. Ses 81 millions d’habitants, selon le CIA World Factbook, se répartissent entre les ethnies suivantes (en %) : Perses (61), Azéris (16), Kurdes (10), Lors (6), Baloutches (2), Arabes (2), Turkmènes et tribus turciques (2), autres (1). Comme tout empire, le pays dispose d’une ethnie dominante (les Perses) face à des minorités rétives – c’est particulièrement le cas des Azéris – animées d’ardents désirs sécessionnistes.

Tous les empires finissent par disparaître, parfois par des voies pacifiques inattendues – pensons au retrait britannique et à l’implosion de l’Union soviétique. Il est plus probable que l’empire iranien prenne fin dans un râle plutôt que dans les décennies de carnage redoutées par le professeur Jenkins. Nous devrions œuvrer de l’extérieur pour qu’il en soit ainsi, et rapidement, de façon à empêcher le pernicieux guide suprême et sa coterie d’accéder à la puissance nucléaire.

À l’instar de la Turquie, le gouvernement central iranien a abandonné depuis longtemps cette fiction qui consistait à voir dans les Kurdes de simples « Turcs des montagnes ». Désormais il permet aux Kurdes d’afficher leur identité culturelle et s’engage dans des négociations politiques avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan, ou PKK (celui-là même qui figure depuis 1997 sur la liste des groupes terroristes dressée par le gouvernement américain). Dans le même temps, les Kurdes de Turquie sont en train de faire entendre leur voix sur le plan politique et de peser de plus en plus dans la vie du pays. Étant donné leur taux de natalité vigoureux face à celui, très faible, des Turcs ethniques – à tel point que les Kurdes pourraient devenir majoritaires d’ici une à deux générations – l’idée d’une séparation séduit de plus en plus les Turcs ethniques.

Pour ma part, je pense qu’un référendum, semblable à celui qui a lieu en Ecosse, sera organisé en Turquie et dans lequel les personnes habitant les régions à majorité kurde devront choisir entre le maintien dans la République turque ou la sécession. Un tel scrutin s’exprimerait sans aucun doute en faveur de la sécession.

L’un des effets secondaires positifs de la sécession kurde serait d’entraver les ambitions du président turc, l’autocratique et fourbe Recep Tayyip Erdoğan. Ce n’est pas rien quand on sait que la Turquie dirigée par Erdoğan représente la menace à long terme la plus importante pour les intérêts occidentaux au Moyen-Orient (par contraste, une fois que les mollahs s’y seront préparés, l’Iran pourrait bien redevenir un allié).

En conclusion, je remercie Philip Jenkins d’avoir exprimé son opinion divergente avec respect (ce qui est rare de nos jours) et tout en reconnaissant le bien-fondé de ses craintes, je peux lui assurer que le scénario « réellement terrifiant » n’est pas un Kurdistan unifié mais bien un Iran doté du nucléaire et une Turquie dominée par Erdoğan. Heureusement, les États occidentaux peuvent empêcher simultanément ces deux catastrophes en aidant les « bonnes personnes » que sont les Kurdes, à bâtir leur État.

Lien : http://fr.danielpipes.org/14942/kurdistan-unifie