par Daniel Pipes
National Review Online
26 octobre 2015
Traduction française : Johan Bourlard
Si le parti du président
turc Recep Tayyip Erdoğan, l’AKP, ne parvient pas à remporter la majorité des
sièges lors du scrutin du 1er novembre, les grands médias
soutiennent qu’il verra son pouvoir diminué. Le titre de l’analyse abondamment
reprise de Reuters résume ce point de vue : « Après le scrutin en
Turquie, Erdoğan n’aura pas d’autre choix que de partager le pouvoir. » L’Agence France Presse annonce que si l’AKP
remporte moins de la moitié des sièges, cela « forcera le parti à partager
le pouvoir ou à organiser de nouvelles élections ». Dans des termes
quasi-identiques, le Middle East Online
voit cette situation comme une obligation pour l’AKP « de partager le
pouvoir ou d’organiser de nouvelles élections. » Et ainsi de suite, presque
invariablement, comme l’usage des mots « partager le pouvoir ».
Le Conseil électoral
suprême (Yüksek Seçim Kurulu) supervise les scrutins en Turquie. Sera-t-il
contraint de truquer les élections du 1er novembre ?
Mais qu’adviendra-t-il si Erdoğan
choisit de ne pas partager le
pouvoir ? Deux options s’offrent à lui. Si les résultats sont serrés, le
recours à la fraude électorale n’est pas exclu. Certains
éléments laissent penser qu’il existe des logiciels sophistiqués (comme on a pu
le voir chez Volkswagen) capables de fausser les résultats.
Si les résultats ne sont
pas serrés, Erdoğan pourrait mettre le parlement sur la touche ainsi que le
Premier ministre, les autres ministres et l’ensemble de ce maudit gouvernement.
Cette option de mise à l’écart, dont le presse n’envisage pas la possibilité,
découle directement des actes qu’Erdoğan a posés par le passé. Depuis qu’il a
quitté le poste de Premier ministre en août 2014 pour occuper celui de
président, il a affaibli le rôle qu’il occupait anciennement au point de le priver
de toute autorité et de le confier à Ahmet Davutoğlu, un théoricien en
politique étrangère dépourvu de toute assise politique et contrôlé par Erdoğan
si étroitement qu’il ne peut même pas décider
du choix de ses propres collaborateurs (qui font également
office d’informateurs d’Erdoğan).
Dans le même temps, Erdoğan
s’est construit un palais présidentiel de 1005 pièces abritant 2700 collaborateurs. Ce personnel constitue une véritable
bureaucratie apte à reprendre la gestion des autres ministères tout en laissant
en place un gouvernement apparemment inchangé mais qui, dans les coulisses,
reçoit ses ordres du palais.
Le président turc Erdoğan
(à gauche) donne ses ordres de marche au Premier ministre Davutoğlu (à droite).
De la même manière, Erdoğan
va certainement mettre le parlement sur la touche en le transformant non pas en
grotesque parlement croupion de type nord-coréen mais bien en assemblée à
l’Égyptienne ou à l’Iranienne consacrée à des matières secondaires (épreuves
scolaires, renouvellement des routes) et à l’écoute des moindres exigences du
Big Boss.
Ensuite, pour compléter sa mainmise
sur les institutions, il utilisera les nombreux leviers en sa possession pour
contrôler le pouvoir judiciaire, les médias, les sociétés ainsi que le monde
universitaire et artistique. Il fera également taire les voix individuelles discordantes,
particulièrement sur les réseaux sociaux, comme le suggèrent les nombreux procès que lui et ses vieux amis ont intentés contre des
citoyens ordinaires ayant osé le critiquer.
À ce stade, le Hugo Chávez
/ Vladimir Poutine de Turquie, qui a comparé la démocratie à un tramway (« vous
le prenez jusqu’à votre destination puis vous en descendez »), est en
mesure d’arriver à destination et pourrait même, à titre de récompense, se proclamer
calife de tous les musulmans.
Le Vénézuélien Chávez (à
gauche) et le Russe Poutine (à droite) se faisant l’accolade. Mais où est donc Erdoğan ?
Revenons au présent :
le nombre de sièges détenus par l’AKP au parlement importe peu car Erdoğan fera
ce qu’il faut, légalement ou non, pour devenir le nouveau sultan. Il ne devra
pas « partager le pouvoir » mais s’en emparera, coûte que coûte (mise
du parlement sur la touche ou fraude électorale). Les capitales étrangères
doivent se préparer à la perspective peu réjouissante d’une Turquie en marche
vers un État voyou dictatorial.
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Mise à jour, 26 octobre 2015. Kadri Gürsel explore différentes possibilités dans
le cas où l’AKP ne remporterait pas la majorité des suffrages, notamment celle
où Erdoğan forcerait la tenue d’un troisième scrutin. Mais Gürsel n’évoque pas
la mise à l’écart du parlement parmi les choix possibles du président.
Mise à jour, 28 octobre 2015. Le titre du Guardian a un ton prometteur
(« Élections en Turquie : un pays terriblement divisé aux portes
d’une dictature ? ») mais le chapeau (« Le crainte est de voir
le président Erdoğan remporter la majorité absolue, soit 276 des 550 sièges du
parlement, et établir une régime présidentiel autoritaire ») montre que l’auteur
de l’article, Patrick Cockburn, a omis d’envisager la mise à l’écart
qui se profile.
La présente analyse de Daniel Pipes laisse penser que Poutine et Erdogan sont des dirigeants aux allures comparables. Si cela semble vrai pour un Américain, ce n'est pas le cas pour l'Européen que je suis. Erdogan est un dirigeant autoritaire islamiste qui s'en prend aux minorités de son pays (Kurdes, Alévis, chrétiens) et contribue à déstabiliser le Proche-Orient. Poutine est un dirigeant autoritaire qui respecte les minorités de son pays (notamment les musulmans) et tente de faire retrouver au Proche-Orient un début de stabilité.
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