L’accord sur la Syrie : pertes et profits
Avantage de
Poutine, Assad et l’Iran sur Obama, la Turquie et Israël
par Daniel Pipes
National
Review Online
17 septembre 2013
Version
originale anglaise : Scoring
the Syria Deal
Traduction française : Johan Bourlard
La
diplomatie n’a jamais connu une suite d’événements aussi vertigineuse et
changeante que celle à propos de la Syrie, qui a débuté le mercredi 21 août et s’est
achevée trois semaines et demie plus tard, le samedi 14 septembre. Même s’il
est trop tôt pour départager les gagnants et les perdants, on voit que Bachar
al-Assad mène le jeu, ce qui laisse penser que lui, Poutine et les mollahs sortiront
gagnants alors qu’Obama, Erdoğan et Israël seront les perdants.
Commençons
par revenir sur les derniers événements :
21 août. Une attaque à l’arme chimique contre des civils se
produit à Ghouta, près de Damas. Elle est apparemment l’œuvre du régime d’Assad.
28 août. Barack Obama signale son intention de faire usage de
la force contre le régime d’Assad pour le punir d’avoir perpétré l’attaque
chimique.
31 août. Obama fait marche arrière et demande au Congrès
l’autorisation d’utiliser la force, une chose qu’il n’était pas obligé de
faire.
Au
cours de la semaine suivante, l’opposition aux frappes, tant au sein du Congrès
que parmi la population, enfle à tel point qu’il devient évident qu’Obama
n’obtiendra pas l’autorisation espérée.
9 septembre. Le secrétaire d’État John Kerry promet une
attaque « incroyablement réduite » et a ajouté de façon cavalière que
le contrôle international de l’armement chimique syrien pourrait écarter la
nécessité d’une attaque. Une idée que les Russes se sont empressés de reprendre
et d’exploiter.
10 septembre. Obama renonce à sa menace d’attaquer le régime
syrien et retire la demande qu’il a faite au Congrès.
14 septembre. Les gouvernements russe et américain signent un accord
établissant un « plan de
démantèlement des armes chimiques syriennes » destiné à
« garantir la destruction du programme d’armement chimique syrien de la
façon la plus rapide et la plus sûre possible. »
Bachar al-Assad. Le plan de
démantèlement lui permet de placer les décisions clés du processus sous l’influence
de ses protecteurs (Moscou et Téhéran) et de ses conseillers (le clan Assad). Une
alternative s’offre à lui : respecter ou non l’accord russo-américain et les
exigences de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) en
charge du contrôle du traité sur les armes chimiques que la Syrie a promis de
signer. Assad étant un dirigeant incompétent sur le plan tactique, ses actions
sont difficiles à prévoir mais je m’attends à ce qu’il ne respecte pas l’accord
pour les raisons suivantes : (1) Il a besoin de ces armes pour préserver
son régime. (2) La guerre civile qui déchire actuellement la Syrie favorise le
court-circuitage de l’OIAC. (3) L’attitude d’Obama suggère qu’il n’organisera
pas de représailles. (4) Saddam Hussein a constitué un précédent intéressant en
ce sens que, dans les années 1990, le jeu irakien du chat et de la souris a
ralenti et fait obstacle au démantèlement d’armes de destruction massive par un
régime similaire.
Barack Obama. Déjà sur la brèche en
août 2012 avec sa menace au sujet de la « ligne rouge », le président
américain se retrouve, avec le coup de poker que constitue l’accord
russo-américain, à la merci de son homologue syrien. Si Assad respecte
l’accord, Obama deviendra un génie de la politique étrangère pour avoir
débarrassé la Syrie de son armement chimique sans coup férir. Mais si Assad ne
respecte pas l’accord, ce qui est bien plus probable, Obama devra attaquer le
régime pour préserver sa crédibilité en dépit de ce que cela pourra coûter et
malgré les souhaits de sa base de gauche, de l’opinion du Congrès, des Nations
unies, du pape, et d’autres encore, et même si cela renforce les djihadistes en
Syrie et implique les États-Unis dans des opérations militaires indésirables de
longue haleine. Pour ma part je pense qu’Obama passera à l’offensive mais sans
causer de réels dommages tant à sa popularité qu’au régime d’Assad.
Bref
je prédis qu’Assad ne respectera pas l’accord et qu’Obama mènera une attaque
symbolique. Selon ce scénario, cela signifie pour les acteurs principaux :
·
Bachar
al-Assad. Il pourra pérorer au sujet de sa survie à une offensive
américaine et dans ce registre, il est le plus fort.
·
Barack
Obama. La crédibilité de sa politique étrangère sombrera et celle des
États-Unis également – surtout par rapport au dossier nucléaire iranien – à
tout le moins jusqu’en 2017.
·
Vladimir
Poutine. Qu’Assad se conforme ou non aux termes de l’accord, et qu’Obama
passe ou non à l’offensive, le président russe ne peut pas perdre. Au
contraire, il est entré en lice pour le Prix Nobel de la Paix. Il est le grand
vainqueur.
·
L’Iran.
Téhéran en sortira gagnant, avec la certitude que son infrastructure nucléaire
échappera aux frappes américaines même si Obama met le régime d’Assad en
pièces.
·
Recep
Tayyip Erdoğan. Le Premier ministre turc, en tant que leader international
des partisans de la guerre, sera perdant même si Obama attaque sérieusement
Assad.
·
Israël.
Avec Obama, le pays sortira gagnant si Assad respecte l’accord et perdant dans
le cas contraire, ce qui est probable.
Terminons
par deux observations ironiques. Au lieu de résoudre la crise, l’accord
russo-américain la prolonge et l’aggrave. Par ailleurs, le discours prononcé presque
nonchalamment il y a un an par Obama à propos de la « ligne rouge »
fut l’erreur insignifiante qui pourrait précipiter le grand fiasco diplomatique
de sa présidence.
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