par Daniel Pipes
Aydınlık
Daily
(Turquie)
24 août 2014
Version originale anglaise :
The Caliphate Brings Trauma
Traduction française : Johan
Bourlard
De façon inattendue, l’antique et
impuissante institution du califat a été restaurée le 29 juin 2014. Que laisse
présager cet événement ?
La conception classique du
califat, à savoir un unique successeur de Mahomet gouvernant un État islamique
unifié, a subsisté à peine un siècle pour se terminer avec l’apparition de deux
califes en l’an 750 de l’ère chrétienne. La puissance califale s’est effondrée aux
environs de l’an 940 et, après avoir vivoté pendant une longue période, l’institution
a fini par disparaître en 1924. Toutes les tentatives de restauration qui ont
eu lieu par la suite, comme celle du Kalifaatstaat autoproclamé à Cologne en
Allemagne, ont échoué. Autrement dit, le califat est inopérant depuis environ
un millénaire et inexistant depuis près d’un siècle.
En juin, l’organisation dénommée
État islamique en Irak et en Syrie a conquis la ville de Mossoul peuplée de 1,7
million d’habitants. Quelques jours plus tard, elle a adopté le nom d’État
islamique, a proclamé la restauration du califat et a installé sa capitale dans
la cité historique de Raqqa, en Syrie. Ce choix n’est pas un hasard puisque
cette ville de 220.000 âmes fut la capitale du calife Haroun Al-Rachid pendant
13 ans. Sous l’autorité d’un Irakien nommé Ibrahim Awwad Ibrahim, le nouveau
califat a pour ambition démesurée de gouverner toute la terre (« orient et
occident ») et d’imposer à tous une version primitive, fanatique et
violente de la loi islamique.
J’ai annoncé que malgré son apparition
spectaculaire, cet État islamique ne survivra pas : « confronté à la
double hostilité de ses voisins, (il) ne survivra pas ». Dans le même
temps je pense qu’il laissera un héritage.
« Peu importe le
sort calamiteux du calife Ibrahim et de sa troupe sinistre, en faisant à
nouveau du califat une réalité, ils ont réussi à ressusciter une institution
fondamentale de l’islam. Désormais, les islamistes du monde entier porteront
haut ce moment de gloire brutale et s’en inspireront. »
Voici ce à quoi je m’attends plus
précisément dans l’avenir concernant le legs de l’actuel califat :
1. Maintenant que la
glace est brisée, d’autres islamistes ambitieux vont se montrer plus audacieux
et se proclamer calife avec le risque de prolifération du phénomène dans des
régions allant du Nigéria ou de la Somalie à l’Afghanistan ou l’Indonésie,
voire au-delà.
2. La proclamation
d’un califat a des implications majeures : elle permet d’exercer un
attrait sur les djihadistes de toute la oumma
(la communauté formée par l’ensemble des musulmans dans le monde) mais elle
contraint aussi le califat à établir son autorité souveraine sur un territoire.
3. Depuis la
disparition effective du califat en 1924, c’est l’État saoudien qui a repris,
en quelque sorte, le rôle de calife. Avec l’apparition du califat établi à
Raqqa, le roi saoudien et ses conseillers seront fortement tentés de proclamer
leur propre version du califat. Si l’actuel « Gardien des deux saintes
Mosquées » (comme le monarque aime à se faire appeler) qui vient de passer
le cap des 90 ans, ne prend pas le titre, ses successeurs le pourraient bien et
feraient ainsi advenir le premier califat fondé au sein d’un État reconnu
officiellement.
4. La République
islamique d’Iran, la grande puissance chiite, pourrait faire de même (en
proclamant l’imamat) afin de ne pas se laisser distancer par les sunnites de
Riyad et deviendrait alors le deuxième État califal officiel.
5. Cette
prolifération de califes va encore renforcer l’anarchie et exacerber
l’hostilité au sein des peuples musulmans.
6. La situation va
bien vite engendrer les désillusions. Les différents califats ne garantiront ni
la sécurité des personnes, ni la justice, ni la croissance économique, et ne
produira pas d’avancée culturelle. Les uns après les autres, ces États
universels autoproclamés s’effondreront, se feront envahir ou laisseront tomber
leurs projets grandioses.
7. La folie des
créations de califats prendra fin d’ici quelques dizaines d’années pour laisser
se réinstaller les conditions qui prévalaient grosso modo avant le 29 juin
2014. On regardera alors cette période d’éruption califale comme une anomalie
anachronique, un obstacle à la modernisation de la oumma et comme un mauvais rêve.
Bref, la proclamation du califat
le 29 juin dernier fut un événement majeur : le fait que cette institution
dépassée dans les faits depuis longtemps soit restaurée, laisse présager bien
des traumatismes.
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