vendredi 3 octobre 2014

Les Frères Musulmans en Syrie : plus proches de l’EIIL que des États-Unis


par Ravi Kumar
IPT News
16 septembre 2014

Traduction française : Johan Bourlard

Au moment où les États-Unis tentent de former une coalition d’alliés arabes dans la lutte conjointe contre l’organisation terroriste de l’EIIL, connue à présent sous le nom d’État islamique, une autre organisation cherche à profiter de la situation en déclarant son opposition à l’intervention occidentale et sa solidarité avec d’autres groupes radicaux djihadistes.

Selon un porte-parole des Frères Musulmans en Syrie, les attaques lancées contre l’État islamique par les États-Unis et ses alliés ne sont pas la réponse.

« Notre bataille avec l’EIIL est une bataille intellectuelle », a dit Omar Mushaweh dans une déclaration publiée le 9 septembre sur le site officiel des Frères Musulmans en Syrie, « et nous souhaitons que certains de ses membres reviennent à la raison. Nous faisons vraiment une distinction entre ceux qui ont été trompés, à qui on a lavé le cerveau et qui pourraient revenir dans le droit chemin, et ceux qui sont à la solde de l’étranger et essaient de pervertir la voie de la révolution (syrienne). »

Plus exactement, le première cible de toute intervention occidentale devrait être le dictateur Bashar Al-Assad, assure Mushaweh, selon la traduction de ses commentaires réalisée par l’Investigative Project on Terrorism (IPT).

De tels propos devraient renforcer les inquiétudes de l’Occident concernant les Frères Musulmans en Syrie. Les membres de la confrérie occupent en effet une place importante au sein de l’Armée syrienne libre (ASL), cette faction qui, entraînée et armée par les États-Unis, est censée être l’une des factions modérées sur le terrain de la guerre civile en Syrie. Cette situation montre aussi la difficulté de trouver des alliés véritablement modérés dans ce pays. En comparaison avec l’EIIL, l’ALS peut toutefois être considérée comme modérée. Après tout, l’EIIL s’est montré si violent et si brutal qu’il a été désavoué par Al-Qaïda en février.

En outre, les Frères Musulmans en Syrie ont pleuré ouvertement la mort, la semaine dernière, d’un chef d’Ahrar al-Sham, une faction syrienne liée à Al-Qaïda.

Le point de vue de Mushaweh sur l’intervention américaine est partagé par d’autres membres des Frères. Un autre dirigeant de la confrérie, Zuher Salem, a minimisé la menace que représente l’EIIL en comparant le discours américain actuel à celui qui a précédé l’invasion de l’Irak en 2003.

« Toutes ces histoires que nous raconte l’Amérique sur le caractère primitif, terroriste et menaçant de l’État islamique ressemblent à celles qu’on nous a racontées à propos des armes de destruction massive en Irak et des crimes contre l’humanité », écrivait Salem dans un article publié le 13 septembre par l’Arab East Center, un think tank associé aux Frères Musulmans. « Il est ridicule de rivaliser en condamnations du terrorisme et du meurtre du journaliste américain alors qu’il faut être conscient que l’objectif de cette coalition dirigée contre l’EIIL est de préparer la voie à l’hégémonie de l’Iran dans la région. »

Yusuf al-Qaradawi, un religieux influent des Frères Musulmans vivant au Qatar, a également critiqué la campagne militaire américaine contre l’EIIL. « Je désapprouve complètement l’idéologie et les méthodes de l’EIIL », écrivait-il sur Twitter, « mais je n’accepte pas du tout que la lutte soit dirigée par l’Amérique qui n’agit pas au nom de l’islam mais bien dans son propre intérêt, même s’il faut pour cela verser le sang. »

Bien qu’il s’agisse de deux organisations musulmanes sunnites cherchant l’une comme l’autre à établir un califat islamique à l’échelle planétaire, l’EIIL considère les Frères Musulmans comme trop passifs tandis que ces derniers considèrent l’EIIL comme inutilement violent dans la poursuite de ses objectifs.

Toutefois, les deux mouvements ont des ennemis communs, notamment les régimes en place en Arabie Saoudite, en Égypte, aux Émirats arabes unis et en Jordanie. Ces pays, qui ont œuvré à la désorganisation des Frères, sont considérés par l’EIIL comme des régimes infidèles à renverser au profit de l’extension du califat islamique.

Preuve supplémentaire que les Frères Musulmans en Syrie ne sont pas une force modérée, la déclaration qu’ils ont publiée sur leur site le 10 septembre, indique qu’ils pleurent la mort du chef d’Ahrar al-Sham, Hassan Aboud, tué dans un attentat suicide.

« La Syrie a donné une myriade de ses meilleurs fils ainsi que les dirigeants les plus braves du Front islamique et d’Ahrar al-Sham » a dit Hassan al-Hashimi, le chef du bureau politique des Frères, dans une déclaration traduite par l’IPT. « Nous les considérons comme des martyrs. »

Ahrar al-Sham est une organisation radicale dont l’un des fondateurs est Abu Khaled al-Suri, le représentant d’Al-Qaïda en Syrie désigné par le chef de celle-ci, Ayman al-Zawahiri. Al-Suri a été tué en février dans un attentat suicide qui aurait été perpétré par l’EIIL.

Dans un message posté sur Twitter en 2013, Aboud a exprimé clairement sa proximité idéologique avec Al-Qaïda. « Que Dieu ait pitié de Mujahid Sheikh Abdullah Azzam. Il était un savant en matière de djihad et de morale. » Azzam était considéré comme un mentor par Oussama Ben Laden. Il était un adepte des thèses conspirationnistes impliquant des complots juifs et chrétiens contre l’islam.

Al-Hashimi, ce responsable des Frères Musulmans qui pleure la mort d’Aboud, a effectué quelques visites aux États-Unis depuis le début de la guerre civile en Syrie.

Le 17 novembre 2013, il a pris la parole dans la mosquée controversée de Dar al-Hijrah située dans le nord de la Virginie. C’était dans le cadre d’un programme organisé par la Syrian Emergency Task Force (SETF) une organisation qui a travaillé en étroite collaboration avec des membres des Frères Musulmans et dont certains représentants ont fait des déclarations antisémites et marqué leur solidarité avec le Hamas.

Néanmoins, la SETF s’est associée au Département d’État américain pour mettre en place des programmes d’entraînement en Syrie. En décembre 2013, son directeur exécutif a accepté de travailler avec une coalition d’organisations d’opposition syriennes appelée Front islamique, même si certaines de ses composantes, dont Ahrar al-Sham, avaient combattu aux côtés de l’EIIL et du groupe radical Jabhat al-Nosra, ou Front al-Nosra. Quatre entités affiliées au Front islamique ont également cautionné une déclaration appelant à « instaurer la charia pour en faire la seule source de la législation » dans une Syrie de l’après Assad.

L’annonce de l’événement a été communiquée à la liste d’adresses de Dar al-Hijrah sans mentionner toutefois qu’Al-Hashimi est le chef du bureau politique des Frères Musulmans.

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