par Daniel Pipes
The Washington Times
13 novembre 2014
Version
originale anglaise : A Quiet Clash at the Swedish Foreign
Ministry
Traduction française : Johan Bourlard
La
Suède est peut-être le plus « européen » des pays européens en raison
de sa cohésion nationale historique (« une grande famille »), de son
héritage militariste et socialiste, de son immigration sans frein, de sa
culture sans pareil du « politiquement correct » et de sa prétention
proclamée au statut de « superpuissance morale ». Ces
caractéristiques font également de la Suède probablement le plus étrange des
pays européens aux yeux d’un conservateur américain.
Pour
illustrer mon propos, je présente ici un résumé, sorte de paraphrase, de
l’entretien que j’ai eu lors d’une récente visite à Stockholm avec deux des
membres principaux de l’administration du ministère suédois des Affaires
étrangères. Notre discussion, qui fut cordiale mais franche, s’est concentrée
sur le Moyen-Orient, un sujet par rapport auquel nous n’avons été d’accord sur
presque rien. C’est comme si je m’étais retrouvé au ministère des Affaires
étrangères soudanais ou syrien.
La
liste qui suit reprend les plus pittoresques des déclarations officielles
faussement sobres, suivies de mes réponses.
Notre
discussion a d’abord porté sur le programme nucléaire iranien :
1.
Le système d’inspection de l’AIEA en Iran est le plus dense jamais organisé au
monde ; ainsi, il comprend des caméras qui surveillent les installations
iraniennes en permanence pour que nous sachions tout ce qui s’y passe.
Ma réponse. Comment le ministère suédois
des Affaires étrangères sait-il que ces caméras couvrent absolument toutes les
installations nucléaires ? En réalité, ni Stockholm ni aucune autre
capitale n’a la
moindre idée de ce qui se passe là-bas. Il se peut que le programme iranien
soit bien plus avancé qu’on ne le pense. Téhéran a très bien pu se procurer des
armes nucléaires en Corée du Nord ou au Pakistan.
2.
La République islamique d’Iran a abandonné son programme de fabrication de
bombes nucléaires en 2003.
Ma réponse. Le gouvernement iranien, comme
l’a indiqué son président Hassan Rouhani
en personne, n’a jamais arrêté un seul instant son programme nucléaire.
3.
Si une puissance étrangère attaquait les sites nucléaires iraniens, cela
pourrait, contrairement à l’effet recherché, provoquer véritablement la colère
de Téhéran qui se déciderait alors à fabriquer la Bombe.
Ma réponse. Ce qui est contreproductif,
c’est précisément l’idée selon laquelle on inciterait Téhéran à poursuivre son
programme nucléaire en frappant ses installations. Rappelons-nous à ce propos
que le programme nucléaire tant en Irak qu’en Syrie s’est effondré après avoir
été frappé par les avions israéliens.
La
discussion a également porté sur le conflit israélo-arabe alors que le
gouvernement suédois venait de décider de reconnaître un État de
« Palestine » :
1.
On m’a dit que ce geste visait non pas à punir Israël mais à encourager les
Palestiniens qui désespéraient d’une solution à deux États, à savoir un État
d’Israël accolé à une Palestine. La mesure en tant que telle n’est pas hostile
à Israël (dont le gouvernement et la population soutiennent la solution à deux
États) mais bien au Hamas (qui rejette cette éventualité).
Ma réponse. En Israël, le gouvernement et
la population ont réagi très négativement à l’initiative suédoise et ils seront
sans aucun doute bien agacés d’apprendre que cette décision condescendante a
été prise pour leur bien. À l’inverse, le Hamas
a salué ce geste en appelant les autres gouvernements à suivre Stockholm et ce,
dans le but d’isoler Israël.
2.
Les « colonies » israéliennes de Cisjordanie (que je préfère appeler
« villes ») rendent impossible la solution à deux États, d’où
l’impératif urgent d’empêcher leur expansion.
Ma réponse. Je retourne l’argument en
voyant les constructions israéliennes comme un moyen de pression exercé sur les
Palestiniens pour qu’ils envisagent sérieusement la fin du conflit. Plus les
Palestiniens tarderont, moins il leur restera de terres.
3.
Les nombreuses déclarations et affiches montrant le soutien du Fatah au « djihad à la
voiture » sont sans importance étant donné que le Fatah n’est pas le
« gouvernement » palestinien officiel. Le ministère suédois des
Affaires étrangères ne s’inquiète donc pas de ces incitations au meurtre.
Ma réponse. Le Fatah, l’OLP et l’Autorité
palestinienne sont les trois noms d’une même entité. Faire une distinction
légale entre ces trois termes permet à Mahmoud Abbas, qui dirige les trois, de
se disculper des meurtres.
4.
Demander aux Palestiniens de reconnaître Israël comme un État juif est un piège
pour Abbas qui ne peut pas le faire en raison du nombre important d’Arabes
vivant en Israël.
Ma réponse. Ne pas accepter Israël comme
l’État juif revient à rejeter toute l’entreprise sioniste. Cette demande n’est
pas un piège. Elle répond plutôt aux changements survenus en 2006 du côté arabe
israélien. Dans ce cas, pourquoi Ehud
Olmert, alors Premier ministre du gouvernement israélien – et fervent
partisan déclaré, comme les Suédois, d’un accord avec Abbas – aurait-il
initié cette demande ?
Ce
désaccord complet sur les faits, les interprétations et les prévisions
indiquent l’existence d’un fossé énorme et toujours grandissant entre des pays
et des gouvernements fondés sur des valeurs semblables. À un moment où les
rangs ennemis ne cessent de grossir, ceux qui devraient faire preuve de
réalisme et de sympathie préfèrent poursuivre des chimères. Cette attitude me
rend pessimiste pour l’avenir de l’Europe. Quelle catastrophe faudra-t-il pour
que les Suédois se réveillent, en commençant par leurs vénérables
fonctionnaires des Affaires étrangères ?
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