Par Abigail Esman
Special to IPT News
25 novembre 2014
Version originale anglaise : Guest Column : The Disturbing Heroes of Dutch
Muslim Youth
Traduction française : Johan
Bourlard
Pour les ados américains d’aujourd’hui, les
plus grands héros ne sont plus les joueurs de baseball ni même Lady Gaga :
il s’agit pour la plupart de stars
de You Tube comme le duo comique Smosh, suivi de Katy Perry et – plus
surprenant – de l’actrice Betty White âgée de 92 ans. Mais pour des centaines
de milliers de jeunes Néerlandais, les héros du moment ne sont plus les stars
de cinéma ni les humoristes mais bien les djihadistes de l’État islamique.
C’est ce qui ressort d’une étude
récente menée par le bureau d’études néerlandais Motivaction. Cette étude
montre que 90 pourcents des Turcs néerlandais âgés de 18 à 35 ans considèrent
les membres de l’État islamique (EI ou EIIL) comme des héros et soutiennent
avec enthousiasme leurs amis et voisins qui partent rejoindre ces derniers en
Syrie. Parmi les immigrés marocains aux Pays-Bas de la même classe d’âge, 48
pourcents sont du même avis.
(À titre d’information, d’après les derniers
chiffres officiels, les Pays-Bas comptent, sur une population totale de
16,8 millions d’habitants, plus de 368.000 immigrés marocains – des première et
deuxième générations – et plus de 395.000 Turcs.)
Ce n’est pas la première fois qu’on voit des
musulmans européens marquer leur adhésion aux horreurs du djihad violent :
au début de cette année, le bureau d’étude britannique ICM a établi que pas
moins de 15 pourcents des jeunes Français (âgés de 18 à 24 ans) approuvent
l’État islamique, à l’instar de 11 pourcents des Britanniques âgés de 35 à 44
ans.
De tels chiffres permettent d’expliquer en
grande partie ce qui encourage les jeunes musulmans européens à rejoindre l’EI
et d’autres groupes djihadistes en Syrie et en Irak. Mais l’étude réalisée par
Motivaction permet également de comprendre l’état d’esprit de la génération
montante des Néerlandais – et probablement de la plupart des Européens – de
confession musulmane. Bizarrement, alors que 87 pourcents des jeunes Turcs
néerlandais soutiennent le djihad en général et l’État islamique en
particulier, 90 pourcents s’opposent à un État ou califat islamique (contre 67
pourcents des Marocains néerlandais). En réalité, selon Motivaction, 93
pourcents des Turcs néerlandais croient que « la démocratie est
essentielle » au progrès. Ainsi, à l’instar du président turc Recep Tayyip
Erdogan (que l’immense majorité d’entre eux admire), ils considèrent le combat
mené en Syrie comme une révolution dirigée contre Bachar el-Assad qu’ils
veulent voir tomber au profit d’un régime démocratique. Ce point de vue révèle
qu’ils n’ont pas tout à fait conscience des objectifs véritables de l’EI, à
savoir le remplacement du régime d’Assad par un califat islamique que l’EI
cherche à étendre par la conquête d’autres pays dans la région, y compris la
Turquie.
Pourtant, malgré leur soutien massif en faveur
de la démocratie, les Turcs néerlandais, comme le montre aussi l’enquête de
Motivaction, ont une identité islamique forte – plus forte que celle des Marocains
néerlandais. Cette donnée peut surprendre quand on sait que la majorité des
musulmans radicaux connus aux Pays-Bas, notamment les membres du groupe radical
Hofstad, sont d’origine marocaine. Malgré les liens d’amitié qui unissent
depuis longtemps la Turquie et Israël, les Turcs néerlandais, à l’instar
d’Erdogan, reprochent à Israël les violences qui secouent la région et
considèrent la lutte armée du Hamas contre Israël comme une chose
« positive », à une majorité écrasante de 89 pourcents (contre 49 pourcents
des Marocains). Il semble également que les Turcs néerlandais considèrent les
juifs en général comme l’ennemi et ne croient pas que l’amitié ou la paix
soient possibles entre musulmans et juifs – même aux Pays-Bas.
Ces chiffres sont publiés alors que la
communauté turque des Pays-Bas fait l’objet d’une surveillance particulière, au
moment où des études menées auprès des organismes turcs les plus influents
montrent l’existence probable de liens avec le gouvernement turc mais aussi
avec l’extrémisme. Un rapport
du gouvernement néerlandais publié en septembre et intitulé « Islam
turc : état des lieux des courants et organismes religieux turcs aux
Pays-Bas » laisse entendre que si ces organisations ont pu aider à
promouvoir l’intégration en encourageant les immigrés turcs des première et
deuxième générations à exceller à l’école, dans les affaires et en politique,
elles les ont également incités à atteindre et à exercer « un pouvoir
(politique) et une influence à sens unique sur leur propre groupe et à
renforcer leur identité turque ». Une grande partie de ces activités
reçoit le soutien financier direct du gouvernement turc et du Diyanet, le
ministère turc des affaires religieuses et islamiques. Cette étude sur
« l’islam turc » a conduit récemment le ministre néerlandais des
Affaires sociales, Lodewijk Asscher, à demander
de placer sous surveillance pendant cinq ans les principales organisations
turques du pays. Cette demande a également produit des remous au sein du parlement
néerlandais.
Quelles que soient les différences d’opinion
entre Turcs et Marocains des Pays-Bas au sujet de l’EI et du djihad, la
situation plus générale que décrit l’étude réalisée par Motivaction est celle
d’un nombre scandaleusement important de musulmans néerlandais – et
probablement européens – soutenant ouvertement le djihad violent. Si 87
pourcents des jeunes Turcs néerlandais considèrent comme quelque chose de
« bien » le fait que « des groupes combattent pour le changement
au nom du djihad » alors que 80 pourcents ne voient « rien de
mal » dans l’usage de la violence contre les non-croyants et si 39
pourcents des Marocains néerlandais pensent de même, nous sommes en présence de
centaines de milliers de djihadistes potentiels dans ce seul petit pays.
Ce qui importe ici, ce ne sont pas tellement
les chiffres mais bien les gens que ces chiffres représentent – des jeunes,
hommes et femmes, qui ont grandi en Europe avec les valeurs et les idéaux de
l’Occident et qui, néanmoins, vénèrent ceux qui massacrent, violent et
torturent au nom d’Allah. Si les dirigeants européens s’inquiètent beaucoup de
ce qu’il faut faire de leurs citoyens musulmans de retour du djihad syrien, il
serait peut-être temps aussi qu’ils s’inquiètent de ce qu’il faut faire de ceux
qui sont restés au pays.
L’auteur,
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux
Pays-Bas. Elle est l’auteur de l’ouvrage Radical
State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L’État
radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale]
publié chez Praeger en 2010.
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