mercredi 7 janvier 2015

L’année européenne du djihadiste


Par Abigail R. Esman
Special to IPT News
29 décembre 2014

Version originale anglaise : Guest Column: Europe’s Year of the Jihadist
Traduction française: Johan Bourlard

Parmi les tendances de l’année 2014 – le film Gone Girl, l’actrice et réalisatrice Lena Dunham et la salade de pommes de terre à 55.000 dollars – il y en a une que les auteurs de classements semblent avoir oublié : 2014 fut également une année faste pour le djihad islamique. Cela s’est vérifié non seulement sur le front syrien et dans les villes et villages du Pakistan mais aussi, de façon plus subtile, à travers l’Occident – particulièrement en Europe. Ce fut, par exemple, l’année du massacre de quatre juifs par Mehdi Nemmouche au Musée juif de Bruxelles.



Ce fut l’année où la Belgique fut désignée « centre de recrutement terroriste » par le Wall Street Journal. En Allemagne, en France, en Angleterre et aux Pays-Bas, des manifestations en faveur de l’État islamique (EI) révélèrent au grand jour le soutien grandissant au terrorisme et au djihad islamique parmi la population musulmane européenne en constante augmentation – sous le regard bienveillant de politiciens parfois même solidaires.

Tout au long de 2014, les Européens ont été confrontés à des manifestations à la fois pro-État islamique et antijuives à Paris, Hambourg, Amsterdam, Londres et La Haye ainsi qu’à l’établissement de « zones de charia » à Londres, Wupperthal et ailleurs. Il est vrai que ces zones ne correspondent pas toujours à des endroits où la charia s’applique en lieu et place de la loi du pays mais cette expression permet à ceux qui s’en servent de donner un nom à ces quartiers à majorité musulmane dont les habitants tendent à se radicaliser et soutiennent régulièrement des mouvements djihadistes à la fois dans le pays et à l’étranger.

Autant d’éléments qui indiquent le succès croissant d’islamistes qui s’appliquent à changer l’Europe de l’intérieur – parfois par la violence, mais le plus souvent par des stratégies qu’on pourrait appeler « djihad par ruse » – en exerçant des pressions sociales et politiques pour transformer la culture du pays.

Prenons, par exemple, la réponse de Josias van Aartsen, le maire de La Haye, aux musulmans radicaux qui ont réclamé la mort des Néerlandais non-musulmans et juifs lors de rassemblements organisés en août en faveur de l’EI : alors en vacances, Van Aartsen a refusé de rentrer au pays, au point d’ignorer les jets de pierres sur des non-musulmans et des policiers. Il a fallu attendre l’annonce d’une contre-manifestation anti-EI au même endroit pour que Van Aartsen entre en action et… l’interdise. « Trop provocant », selon lui.

Il y a aussi en France des rapports des services du renseignement qui ont récemment fait l’objet d’une fuite et qui indiquent, comme le révèle le Gatestone Institute, que « les étudiants musulmans sont en train de réussir à établir une société islamique parallèle entièrement coupée des étudiants non-musulmans », alors que « plus de 1000 supermarchés en France, notamment parmi les grandes chaînes de distribution comme Carrefour, ont vendu de la littérature islamique appelant ouvertement au djihad et au meurtre des non-musulmans. »

En Angleterre, une « Opération Cheval de Troie » a élaboré des projets d’islamisation d’écoles situées dans des quartiers musulmans. Selon le Guardian, une enquête réalisée à ce sujet l’été dernier par le gouvernement a montré l’existence d’un « ‘programme soutenu et coordonné en vue d’imposer des comportements et des pratiques ségrégationnistes d’une tendance dure et politisée de l’islam sunnite’ sur les enfants d’un certain nombre d’écoles à Birmingham. » Parmi les responsables de cette « opération », on compte l’Association of Muslim Schools - UK [écoles musulmanes pour le Royaume-Uni] ainsi que le Muslim Council of Britain [Conseil musulman de Grande-Bretagne], celui-là même qui, en 2011, déclarait que les femmes qui ne se voilent pas le visage « pourraient être coupables de rejet de l’islam. »

Ironie de l’histoire, il semble que ce soit la culture anglaise elle-même qui a permis, à l’origine, l’essor de l’enseignement islamiste dans ses écoles. La Secrétaire d’État britannique à l’Éducation, Nicky Morgan, a même avoué au New York Times qu’une grande partie du succès de l’opération pourrait être dû à « la crainte d’être accusé de racisme ou d’opposition à l’islam. » Ce n’est pas sans raison que l’ancien conseiller d’Obama, Lawrence Krauss, affirme que les Britanniques sont « trop polis » et « effrayés à l’idée d’offenser les ‘musulmans bruyants et agressifs’. »

Il est louable que le gouvernement ait découvert « l’Opération Cheval de Troie » et se soit immédiatement attelé à son démantèlement. Toutefois, celle-ci a eu le temps de causer aux enfants musulmans des dommages qu’il est difficile d’évaluer. Selon certaines estimations, pas moins de 2000 Britanniques ont rejoint le djihad (dirigé par des sunnites) en Syrie et en Irak. Parmi eux, se trouvait l’auteur, connu sous le nom de « John le djihadiste », des décapitations des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff. En outre, les experts avertissent que le nombre de très jeunes djihadistes – des enfants de moins de 10 ans qui ont été radicalisés – est en hausse.

Ce genre d’avertissement n’a pourtant pas eu d’effets positifs. Jusqu’à très récemment, le Royaume-Uni a dépensé des sommes vertigineuses dans des programmes destinés à dissuader les jeunes musulmans de rejoindre des organisations militantes, des programmes qui pour la plupart ont échoué. James Brandon, ancien directeur de recherches de l’un de ces programmes déclarait à l’agence Reuters : « En mettant sur pied le programme national le plus important de tous les pays occidentaux visant à encourager une version modérée de l’islam et à prévenir la radicalisation, le Royaume-Uni s’est en réalité consacré à essayer de stopper la multiplication des djihadistes. »

En dépit d’une telle situation, les législateurs européens ont eu beaucoup de mal à savoir comment gérer le problème des musulmans radicaux, particulièrement ceux qui reviennent du front syrien ou irakien. L’Angleterre est loin d’être le seul pays dont les responsables politiques craignent de « heurter » les sensibilités des communautés musulmanes. Bien qu’on estime à 450 le nombre d’Allemands partis faire le djihad en Syrie, l’experte du parti écologiste allemand, Irene Mihalic, a déclaré en septembre au magazine Der Spiegel qu’un durcissement de la législation antiterroriste n’était pas nécessaire en raison du fait « qu’il y a déjà ‘suffisamment d’outils à disposition pour imposer des interdictions et des restrictions’ aux terroristes et à leurs soutiens. » Les partis de la majorité ne sont apparemment pas d’accord. Au cours de ce mois, l’Allemagne est devenue le premier pays à interdire complètement l’EI ainsi que toute forme de soutien au groupe terroriste, allant des calicots aux graffitis en passant par les manifestations publiques ou encore l’appui des mosquées locales.

Par contre, cela n’a pas été le cas au Danemark où la volonté de ne pas « offenser » ou « provoquer » la communauté musulmane du pays s’est traduite par la mise en place d’un programme visant à réinsérer les djihadistes revenus du front plutôt qu’à les emprisonner. Dans le pays qui détient fièrement le deuxième plus grand nombre (par habitant) de musulmans partis rejoindre les groupes djihadistes, ceux qui reviennent du front reçoivent des aides généreuses de la part du gouvernement qui leur trouve un emploi et un logement ou des cours de rattrapage leur permettant de continuer leur formation. En outre, selon un reportage de CNN, les programmes de réinsertion « ne cherchent pas à modifier les croyances fondamentalistes des combattants revenus du front – tant qu’ils ne prônent pas la violence. »

Naturellement la méthode qui consiste à dorloter les djihadistes ne fonctionne pas très bien : récemment, les services de renseignement danois ont averti que les combattants revenus de l’EI ou des camps d’Al-Nosra constituent une menace « importante » pour le pays. Un djihadiste que CNN a suivi, a déclaré avoir l’intention de retourner en Syrie pour rejoindre le califat une fois qu’il aurait terminé la formation que lui paye le gouvernement danois.

D’autres gouvernements européens ont rechigné à poursuivre ceux qui recrutaient pour l’EI et d’autres groupes terroristes qui incitent les gens à commettre des meurtres. En décembre, des tribunaux néerlandais ont déclaré une femme de 20 ans « non coupable » d’avoir recruté d’autres femmes pour participer au djihad en Syrie. Motif de cette déclaration de non-culpabilité : dans l’État islamique, les femmes ne sont pas autorisées à combattre et ne peuvent par conséquent être considérées comme des terroristes. Dans une autre affaire, « Imad al-O » (23 ans) a été déclarée coupable d’avoir aidé une jeune fille de 16 ans à voyager de la Syrie vers l’Égypte. Verdict : trois mois de prison et 240 heures de travaux d’intérêt général.

Et pendant ce temps, des « loups solitaires » radicaux poursuivent leurs attentats dans différentes villes européennes comme l’attentat du 21 décembre à Dijon commis par un homme qui a percuté une foule de passants avec sa voiture en proclamant qu’il agissait « pour les enfants de la Palestine ».

Cet attentat « pour les enfants de la Palestine » est survenu au moment où des responsables politiques français décidaient de suivre la Suède dans la reconnaissance de l’État palestinien – une sorte de version internationale, pourrait-on dire, de la décision anglaise d’arrêter d’empêcher les jeunes musulmans de se radicaliser pour devenir des guerriers de l’islam. Comme la salade de patates de Kickstarter, il s’agit là d’une simple tendance qu’on pourra laisser derrière soi une fois passé le cap de la nouvelle année.

Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l’auteur de l’ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L’État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.

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