Par Abigail R. Esman
Special to IPT News
9 janvier 2015
Version originale anglaise : Guest Column: Nicholas Kristof & the Spirit
of Charlie Hebdo
Traduction française :
Johan Bourlard
Le jour même du massacre de journalistes à
Paris, alors que le sang des victimes maculait encore l’endroit où elles
étaient tombées et que les cris des tueurs – « Allahou Akbar »
(« Allah est grand ») – résonnaient toujours dans les récits des
témoins du drame, Nicholas Kristof, journaliste au New York Times, demandait au monde de ne pas juger les tueurs trop
rapidement car le plus urgent, disait-il,
est de ne pas conclure hâtivement qu’ils sont musulmans.
Ah bon ? Alors même qu’ils récitaient la
prière musulmane ? Alors même qu’ils déclaraient haut et fort dans les
rues de Paris qu’ils avaient, par leurs actes, « vengé le
Prophète » ?
Mais ce que Kristof n’a pas fait, c’est
condamner les meurtres, c’est rendre hommage à ceux qui ont été massacrés,
c’est exprimer son horreur face à ces exécutions, c’est admettre que ceux qui
louent Allah après avoir commis un massacre, que leurs motivations soient ou
non religieuses, sont probablement des musulmans.
C’est aussi simple que ça.
(Il est intéressant de noter que, en énumérant
un certain nombre d’attentats terroristes islamistes visant des cibles
occidentales, Kristof a oublié d’indiquer que des musulmans étaient impliqués
dans les attentats du 11 Septembre. Allez savoir pourquoi.)
Au lieu de cela, il a demandé à ses lecteurs de
ne pas juger. Il s’est contenté de répéter les poncifs éculés concernant
« la majorité des musulmans » qui n’a rien à voir avec l’islamisme
extrémiste et a loué, non pas les journalistes et caricaturistes de Charlie Hebdo, mais bien les
non-musulmans qui ont
volé au secours des musulmans craignant des représailles à la suite de la
prise d’otage (commise par un musulman) à Sydney, en Australie.
Ce qu’il aurait pu faire, mais il ne l’a pas
fait, c’est prendre l’un ou l’autre conseil de George Packer du New Yorker, quelqu’un qui en connaît
tout de même un rayon sur l’islamisme extrémiste et sur le courage de certains
journalistes confrontés à ce problème pour la simple raison qu’il est l’un
d’eux. À peu près au moment où Kristof couchait sur papier son article, Packer écrivait :
« [Les attentats d’aujourd’hui] ne sont
que les derniers coups en date portés par une idéologie qui cherche à conquérir
le pouvoir par la terreur depuis des décennies. C’est cette même idéologie qui
a placé Salman Rushdie sous le coup d’une condamnation à mort, le forçant à se
cacher pendant dix ans simplement pour avoir écrit un roman, une idéologie qui
a ensuite tué son traducteur japonais et tenté de tuer son traducteur italien
ainsi que son éditeur norvégien. C’est aussi cette idéologie qui a tué 3000
personnes aux États-Unis le 11 septembre 2001, qui a abattu Theo van Gogh dans
les rues d’Amsterdam en 2004 pour avoir réalisé un film, qui a conduit à des
meurtres et des viols de masse dans les villes et les déserts de Syrie et
d’Irak. C’est encore cette idéologie qui a massacré 132 enfants et 13 adultes
dans une école de Peshawar [au Pakistan] le mois dernier, et qui tue
régulièrement tant de Nigérians, particulièrement des jeunes, dans
l’indifférence quasi-générale.
Du fait que l’idéologie est le produit d’une
des principales religions dans le monde, nombre de raisonnements tortueux
s’emploient minutieusement à démontrer les rapports réels ou non entre la
violence et l’islam. Certaines personnes bien intentionnées établissent
prudemment un lien avec l’islam en déclarant que le carnage n’a rien à voir
avec la foi, ou que l’islam est une religion de paix ou que, tout au plus, la
violence représente la « déformation » d’une grande religion. (Après
les attentats suicides en Irak, j’ai eu l’habitude d’entendre des Irakiens dire
« Aucun musulman ne ferait une chose pareille. ») D’autres souhaitent
en faire porter l’entière responsabilité au contenu théologique de l’islam,
comme si les autres religions étaient naturellement plus pacifiques – une idée
démentie aussi bien par l’histoire que par les textes sacrés.
Une religion ne se résume pas à une série de
textes. La religion, c’est aussi l’ensemble des croyances et des pratiques
telles qu’elles sont vécues par ses adhérents. »
Apparemment ce n’est pas le cas de Kristof.
Ignorant le caractère immonde des meurtres, il en appelle à la paix et à la
tolérance – une supplication qui lui paraissait tout à fait de circonstance à
ce moment-là. Et pourtant, j’imagine qu’au moment de la tuerie de Newtown, il n’aurait
pas eu une pensée pour les millions de « braves gens » qui détiennent
chez elles des armes automatiques ou encore pour ces bonnes âmes qui ne
tourneraient jamais leurs Kalachnikovs, même pas dans leurs rêves, contre de
jeunes enfants.
Au lieu de cela, malgré le fait que la
rédaction du Hartford Courant qui a
qualifié les tueurs de « lâches monstrueux » qui « affirment
être liés à Al-Qaïda », Kristof écrivait tout le bien qu’il pensait des
musulmans qu’il connaissait comme s’il croyait, d’une certaine manière, que le
fait de condamner les tueurs revenait à critiquer l’ensemble des musulmans. Il
s’agit là de l’attitude classique adoptée par ceux qui voient systématiquement
dans la moindre critique d’un musulman, quel qu’il soit, une marque
« d’islamophobie ».
J’ai une nouvelle à annoncer à ces
personnes : l’immense majorité des gens raisonnables dans le monde ne
croit pas que chaque musulman est un terroriste. J’ai également une nouvelle
pour monsieur Kristof : les gens qui pensent cela réellement ne lisent de
toute façon pas vos articles, ne les ont jamais lus et ne les liront
probablement jamais.
Et pourtant, Kristof continue, encore et
encore, à attirer l’attention sur tous les musulmans qui, sur son profil
Twitter, ont exprimé leur consternation face aux attentats, déduisant par là (je
ne sais d’ailleurs pas comment) que « la plupart » des musulmans sont
certainement contre eux. Il semble avoir oublié qu’il ne suit pas le fil
Twitter de ceux qui sont susceptibles d’approuver de tels attentats. Or en
réalité, de très nombreux musulmans occidentaux et même français se sont
exprimés ainsi en faisant des remarques comme « Ces fils de pute de Charlie
Hebdo méritaient la mort 100 fois, bien fais » [sic] et « oh bordel charlie hebdo ahaha j’suis trop content c
fils de pute de raciste ahahaha, j’irai rire sur leur tombe. » [sic]
Les messages de ce genre étaient-ils plus
nombreux que les autres ? Je ne les ai pas comptés. Et je parie que
Kristof non plus.
La vérité c’est que, minorité ou pas (et
disons-le franchement, on n’en sait rien : qui a sondé la population
saoudienne sur la question de l’apostasie ? et la population somalienne
sur ce qu’elle pense du fait de tourner en dérision le Prophète Mahomet ?
Et l’Afghanistan ? Et l’Iran ?), il y a en réalité des millions de
musulmans dans le monde qui croient que l’apostasie
doit être punie de mort, qui croient que les femmes doivent être obligées
d’avoir des relations sexuelles quand leur mari l’exige et punies si elles
refusent. Il y a également des milliers, si pas des millions, de gens dans le
monde qui pensent que dessiner le Prophète doit être puni de mort – si vous ne
me croyez pas, repensez aux émeutes qui ont
éclaté un peu partout dans le monde à la suite de la première publication des
caricatures en 2005 et 2006.
Or toutes ces personnes souscrivent, comme le
dit Packer, à une certaine idéologie.
Peu importe dès lors que vous donniez ou non à
cette idéologie le nom « islam ». Il y a également des millions de
musulmans qui ne souscrivent pas aux mêmes idées et il va sans dire que nous
devons les soutenir. Pensons aux manifestants du parc Gezi [à Istanbul] en
2013, à Malala
Yousafzai ou encore à Zuhdi Jasser.
Il suffit aussi d’écouter Maajid Nawaz.
Il fut un temps où il adhérait à bon nombre de croyances islamistes radicales semblables
à celles des terroristes d’aujourd’hui et où il rêvait à une société islamique
planétaire. Après un séjour dans une prison égyptienne, il a renoncé à cette
idéologie et a créé en Grande-Bretagne une fondation destinée à la
combattre. Intervenu sur la BBC mercredi après le massacre à Charlie Hebdo, il
a déclaré que les musulmans et les généreux Occidentaux ont échoué
« dans leur lutte contre l’extrémisme islamiste et dans la façon dont nous
dégradons peu à peu nos valeurs. Si bien que les islamistes ont pu jusqu’à
présent agir pour atteindre leur objectif, à savoir la division entre les
communautés. »
Avec son article, Kristof diminue la portée de
cet appel à l’introspection.
Ce 7 janvier, qui sera désormais un jour de
commémoration comme le 11 septembre, le 11 mars, le 7 juillet et bien d’autres
jours, ce n’était pas le moment pour ce genre de message tout comme
l’Holocauste n’était pas le moment propice à un quelconque article sur tous ces
braves Allemands, tout comme le meurtre de quatre jeunes filles noires à
Birmingham dimanche ou celui d’Eric Garner en juillet, n’étaient pas des
moments adéquats pour écrire sur tous ces braves citoyens blancs d’Amérique.
Ce sont des terroristes musulmans qui ont tué
l’équipe de Charlie Hebdo. Et ce sont
des extrémistes musulmans d’Occident qui menacent actuellement chaque homme,
chaque femme et chaque enfant en Occident qui croient en ce pour quoi se
battait Charlie Hebdo.
Il faut le dire car, dans ce monde, ce sont les
mots qui constituent l’arme la plus puissante. Ce n’est que comme cela que l’esprit
de Charlie Hebdo continuera à vivre.
Abigail
R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle
est l’auteur de l’ouvrage Radical
State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L’État
radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale]
publié chez Praeger en 2010.
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