Par Daniel Pipes
National Review Online
19 janvier 2015
Version
originale anglaise : Is Sisi Islam’s
Long-Awaited Reformer ?
Traduction française : Johan
Bourlard
Dans
son discours du 1er janvier
qui a recueilli de nombreux éloges, le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi
s’est rendu à l’université d’al-Azhar pour rencontrer les autorités religieuses
du pays et leur dire qu’il était temps de réformer l’islam. Ce geste a été salué
en Occident au point que Sisi figure désormais parmi les candidats au prix
Nobel de la Paix. Toutefois, j’émets sur ce discours quelques réserves.
Pour
commencer, et indépendamment de la qualité des idées d’al-Sisi, aucun homme
politique – et surtout aucun homme fort – n’a fait bouger l’islam. En Turquie,
les réformes d’Atatürk sont aujourd’hui systématiquement contrées. Il y a dix
ans, le roi Abdallah
II de Jordanie et le président pakistanais Pervez
Musharraf ont donné le même type de discours intéressant sur « la voix
véritable de l’islam » et sur « la modération éclairée » qui ont
aussitôt disparu de la circulation. Il est vrai que les observations d’al-Sisi
sont plus musclées mais il ne représente pas une autorité religieuse et il est
très probable que ses commentaires disparaîtront eux aussi sans laisser de
trace.
Pour
information, Sisi a loué le religion musulmane et s’est concentré sur ce qu’il
appelle fikr, un terme qui signifie
littéralement réflexion mais qui désigne en l’occurrence de mauvaises idées. Il
déplorait le fait que de mauvaises idées, sans préciser lesquelles, ont été
sacralisées et que les autorités religieuses n’osent pas les critiquer. Mais
Sisi, lui, les a critiquées et a déclaré dans un arabe parlé très inhabituel
pour traiter ce genre de questions : « Il est inconcevable que les
mauvaises idées que nous tenons pour sacrées soient pour l’ensemble de la oumma [la communauté musulmane] la cause
de préoccupation, de danger, de meurtres et de destructions à travers le monde.
Ce n’est pas possible. »
Pourtant,
c’est précisément ce qui est arrivé : « Nous avons atteint le stade
où les musulmans se sont mis à dos le reste du monde. Est-il concevable que le
1,6 milliard [de musulmans] veuille tuer le reste d’une population mondiale de
7 milliards, pour permettre aux musulmans de prospérer ? Ce n’est pas
possible », poursuivait Sisi devant un parterre de dignitaires religieux
peu enclins à applaudir et à qui il demandait de provoquer une
« révolution religieuse », sous peine de voir la communauté musulmane
« se déchirer, se détruire et se diriger vers l’enfer. »
----------
Le
président égyptien Sisi s’adressant aux autorités religieuses de son pays à
Al-Azhar, le 1er janvier.
----------
Gloire
à al-Sisi pour la fermeté de son langage par rapport à ce problème. Sa
franchise tranche véritablement avec le galimatias de ses homologues
occidentaux qui prétendent que la vague de violence actuelle n’a rien à
voir avec l’islam. (Parmi les réflexions erronées les plus extravagantes, celle
que je préfère est celle de Howard
Dean, l’ancien gouverneur du Vermont, qui en réponse au massacre de Charlie Hebdo, a lancé « J’ai
arrêté de qualifier ces gens de terroristes musulmans. Ils sont presque aussi
musulmans que moi. »)
Cependant,
Sisi n’a pas donné de précisions sur la révolution qu’il souhaite. Qu’avait-il
donc en tête ? Contrairement à ce que disent ses admirateurs, je crois
qu’il défend une version édulcorée de l’islamisme défini comme l’application
intégrale de la loi islamique (charia) dans la sphère publique.
Certains
éléments indiquent que Sisi a été un islamiste. C’était un musulman pratiquant
qui a apparemment mémorisé le Coran. Le Financial
Times a découvert que sa femme porte le hijab (foulard) et l’une de ses filles le niqab (voile couvrant tout le corps à l’exception des mains et des
yeux). Le président Morsi, issu des Frères Musulmans, en avait fait son
ministre de la Défense précisément parce qu’il voyait dans le général de
l’époque un allié.
----------
Peu
après son discours à Al-Azhar, Sisi est devenu le premier président égyptien de
l’histoire à assister à une célébration de Noël copte.
----------
En
2005-2006 alors qu’il étudiait en Pennsylvanie, Sisi a rédigé un mémoire dans lequel
il prônait une démocratie adaptée à l’islam, une démocratie « qui
ressemblerait quelque peu » à son prototype occidental mais « qui
aura sa forme propre et des accents religieux plus marqués. » Sa version
de la démocratie ne faisait pas de séparation entre la mosquée et l’État mais
se fondait « sur les croyances islamiques », ce qui impliquait
l’obligation pour les organes gouvernementaux de « prendre les croyances
islamiques en considération dans l’accomplissement de leurs missions. » En
d’autres termes, la charia l’emporte sur la volonté populaire.
Dans
ce même document, Sisi s’alignait partiellement avec les salafistes, ces
islamistes portant la longue barbe ou la burqa
et cherchant à vivre comme Mahomet. Il décrivait le califat des premiers temps
non seulement comme « la forme idéale de gouvernement » mais aussi
comme « le but auquel doit tendre toute nouvelle forme de
gouvernement », espérant un retour de « la forme originelle » du
califat.
Il
est tout à fait possible que le point de vue de Sisi par rapport à l’islam, à
l’instar de celui de nombreux Égyptiens, ait évolué, surtout depuis sa rupture
avec Morsi il y a deux ans. Certaines rumeurs le disent effectivement lié au
mouvement coranique radicalement anti-islamiste dont le dirigeant, Ahmed Subhy
Mansour est cité
dans le mémoire d’étudiant de Sisi. Toutefois Mansour, qui suspecte
Sisi de « jouer avec les mots », attend de voir si ce dernier est
sérieux quand il parle de réforme.
C’est
exact. Tant que nous n’en saurons pas plus sur les idées personnelles de Sisi
et que nous ne verrons pas ce qu’il fera par la suite, je vois son discours non
pas comme une prise de position contre toute forme d’islamisme mais seulement
contre sa version spécifiquement violente,
celle qui fait des ravages actuellement au Nigéria, en Somalie, en Syrie, en
Irak et au Pakistan, celle qui a mis en état de siège des villes comme Boston,
Ottawa, Sydney et Paris. Pragmatique, Sisi privilégie une évolution de la
charia avec un soutien populaire plutôt qu’une révolution brutale. Cependant,
ce n’est pas la réforme de l’islam que les non-musulmans espèrent voir venir –
surtout quand on se rappelle que la collaboration avec le système donne plus de chances d’y
arriver.
Une
véritable réforme de l’islam nécessite non pas des hommes forts mais bien des
spécialistes de l’islam ainsi que le rejet de l’introduction de la charia dans
la sphère public. Pour ces deux raisons, Sisi n’est peut-être pas le
réformateur qu’on attend.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire