par Daniel Pipes
National Review
Online
16 septembre 2014
Version originale
anglaise : The Case of a Unified Kurdistan
Traduction
française : Johan Bourlard
Un Kurdistan uni et
indépendant est-il une éventualité souhaitable ou une hypothèse dangereuse qui
apporterait au Moyen-Orient plus de problèmes que de solutions ?
Philip Jenkins,
éminent professeur d’histoire à la Baylor University, considère l’éventualité
d’un grand Kurdistan rassemblant les composantes irakienne, syrienne, turque et
iranienne, comme « réellement terrifiante ». J’aimerais lui assurer
que cette éventualité peut également avoir des conséquences salutaires.
Le professeur Jenkins
fait part de ses craintes dans un article intitulé « The Case Against a Unified Kurdistan » [arguments contre un
Kurdistan unifié], qui s’avère être une réponse directe à l’un de mes articles
récemment publié dans National Review
Online, à savoir « Salut
au Kurdistan ».
Comme le suggère son
titre, Jenkins ne rejette pas toutes les entités politiques kurdes
indépendantes. Il admet en effet l’existence d’un « excellent
argument » en faveur de l’entité déjà existante en Irak et semble se
résigner quant à la mise en place d’une entité semblable en Syrie. Il reconnaît
également que « étant donné la situation dans la région, les Kurdes sont
sans aucun doute les bonnes personnes qui constituent ce qui pourrait être un
État réellement pro-occidental. » Jusque-là, nous sommes d’accord.
Mais il rejette
catégoriquement l’idée d’un Kurdistan unifié, « un projet atrocement
compliqué » qui pourrait « répandre les massacres et le nettoyage
ethnique » dans des endroits encore épargnés. En Iran, il prévoit qu’une
sécession kurde engendrera une « guerre civile sanglante » et
« une escalade de massacres durant les prochaines décennies ». En
Turquie, un mouvement sécessionniste kurde « serait catastrophique »
car il « paralyserait l’une des sociétés qui ont le mieux réussi dans la
région », sans parler des violences qui éclateraient en Europe entre les
communautés turque et kurde.
En guise de réponse
je répliquerais que l’Iran actuel constitue un mini-empire archi-agressif dont
on ferait mieux de se débarrasser. Si les dirigeants de la république islamique
d’Iran aux idées apocalyptiques parviennent à faire main basse sur l’arme
nucléaire, ils mettront en danger non seulement le Moyen-Orient mais aussi
l’Occident, par la menace d’une impulsion électromagnétique, ou IEM, une perspective
terrifiante qui doit être évitée à tout prix. Étant donné l’inefficacité du
leadership américain sous « l’Unique » Barack Obama, il se peut que les
Kurdes doivent porter eux-mêmes ce lourd fardeau.
L’Iran est
effectivement un mini-empire, comme sa démographie le démontre. Ses 81 millions
d’habitants, selon le CIA
World Factbook,
se répartissent entre les ethnies suivantes (en %) : Perses (61), Azéris
(16), Kurdes (10), Lors (6), Baloutches (2), Arabes (2), Turkmènes et tribus
turciques (2), autres (1). Comme tout empire, le pays dispose d’une ethnie dominante
(les Perses) face à des minorités rétives – c’est particulièrement le cas des
Azéris – animées d’ardents désirs sécessionnistes.
Tous les empires
finissent par disparaître, parfois par des voies pacifiques inattendues –
pensons au retrait britannique et à l’implosion de l’Union soviétique. Il est
plus probable que l’empire iranien prenne fin dans un râle plutôt que dans les
décennies de carnage redoutées par le professeur Jenkins. Nous devrions œuvrer
de l’extérieur pour qu’il en soit ainsi, et rapidement, de façon à empêcher le
pernicieux guide suprême et sa coterie d’accéder à la puissance nucléaire.
À l’instar de la
Turquie, le gouvernement central iranien a abandonné depuis longtemps cette
fiction qui consistait à voir dans les Kurdes de simples « Turcs des
montagnes ». Désormais il permet aux Kurdes d’afficher leur identité
culturelle et s’engage dans des négociations politiques avec le Parti des
Travailleurs du Kurdistan, ou PKK (celui-là même qui figure depuis 1997 sur la liste des groupes terroristes dressée par le gouvernement
américain). Dans le même temps, les Kurdes de Turquie sont en train de faire
entendre leur voix sur le plan politique et de peser de plus en plus dans la
vie du pays. Étant donné leur taux de natalité vigoureux face à celui, très
faible, des Turcs ethniques – à tel point que les Kurdes pourraient devenir
majoritaires d’ici une à deux générations – l’idée d’une séparation séduit de
plus en plus les Turcs ethniques.
Pour ma part, je
pense qu’un référendum, semblable à celui qui a lieu en Ecosse, sera organisé en
Turquie et dans lequel les personnes habitant les régions à majorité kurde
devront choisir entre le maintien dans la République turque ou la sécession. Un
tel scrutin s’exprimerait sans aucun doute en faveur de la sécession.
L’un des effets
secondaires positifs de la sécession kurde serait d’entraver les ambitions du
président turc, l’autocratique et fourbe Recep Tayyip Erdoğan. Ce n’est pas
rien quand on sait que la Turquie dirigée par Erdoğan représente la menace à
long terme la plus importante pour les intérêts occidentaux au Moyen-Orient
(par contraste, une fois que les mollahs s’y seront préparés, l’Iran pourrait bien
redevenir un allié).
En conclusion, je
remercie Philip Jenkins d’avoir exprimé son opinion divergente avec respect (ce
qui est rare de nos jours) et tout en reconnaissant le bien-fondé de ses craintes,
je peux lui assurer que le scénario « réellement terrifiant » n’est
pas un Kurdistan unifié mais bien un Iran doté du nucléaire et une Turquie
dominée par Erdoğan. Heureusement, les États occidentaux peuvent empêcher
simultanément ces deux catastrophes en aidant les « bonnes
personnes » que sont les Kurdes, à bâtir leur État.
Lien : http://fr.danielpipes.org/14942/kurdistan-unifie
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