par Daniel Pipes
National
Review Online, The Corner
12 septembre 2014
Version originale anglaise :
There’s No Difference between ISIS and
ISIL
Traduction française : Johan
Bourlard
Certains conservateurs voient un problème au fait que
le président Barack Obama a coutume de désigner l’organisation qui s’est
emparée de la ville irakienne de Mossoul et a proclamé le califat, non pas sous
le nom d’État islamique en Irak et en Syrie, ou EIIS (en anglais ISIS), mais
sous l’appellation d’État islamique en Irak et au Levant (EIIL, en anglais ISIL).
À titre d’exemple, dans son allocution télévisée du 10 septembre consacrée à
l’organisation, Obama a utilisé l’acronyme EIIL à vingt reprises.
La controverse terminologique
(EIIL ou EIIS) est apparue, aussi loin que je me souvienne, lors de la
publication par FoxNews.com, le 24 août, de l’article de Liz Peek du Fiscal Times, intitulé « Obama’s Use of ISIL, not ISIS, Tells
Another Story ».
Selon Peek,
Les deux termes
désignent la même organisation meurtrière. La différence réside dans le fait
que le Levant renvoie à un territoire bien plus grand que l’Irak et la Syrie et
englobe actuellement l’île de Chypre, Israël, la Jordanie, le Liban, la Syrie,
la Palestine et une partie de la Turquie méridionale.
En d’autres termes, le mot Levant fait passer les ambitions de
l’organisation de deux à un nombre beaucoup plus grand de pays. Certains vont
même plus loin. Ainsi Phyllis Chesler tente d’y inclure l’Arabie
Saoudite et les émirats du golfe Persique.
Peek voit dans ce choix
terminologique d’Obama un habile tour de passe-passe destiné à minimiser ses
échecs en Syrie et en Irak. D’autres le soupçonnent d’évacuer sans raison
Israël de son schéma. Le site internet Now The End Begins prétend avoir découvert un plan
« véritablement funeste et diabolique » :
Quand Barack Obama
parle encore et encore de l’État islamique comme de l’EIIL, il envoie aux
musulmans de tout le Moyen-Orient le message disant qu’à titre personnel, il ne
reconnaît pas Israël comme une nation souveraine mais comme un territoire
appartenant à l’État islamique.
Or entre les deux traductions, il
n’y a aucune différence significative tant sur le plan géographique que
politique.
En arabe, l’organisation (à tout le
moins jusqu’à son changement de nom fin juin 2014) a pour nom Al-dawlat al-Islamiya fi’l-cIrâq
wa’sh-Shâm (connu en arabe sous l’acronyme Daech). L’ensemble est aisé à
traduire, à l’exception du dernier mot : Sham. Généralement traduit par Grande
Syrie, il n’a pas d’équivalent exact en anglais [NdT ni en français]. Grande
Syrie est une dénomination géographique et culturelle sans contours bien
définis à l’instar des expressions Middle West et Moyen-Orient, dépourvues de
frontières officielles. Elle englobe toujours les États modernes
suivants : Syrie, Liban, Israël, Jordanie ainsi que les Territoires
palestiniens. Certains estiment qu’il faut y inclure également des parties de
l’Égypte, de l’Irak, de la Turquie voire même la totalité de Chypre.
Dans la mesure où aucun État
souverain n’a jamais porté le nom Sham,
le débat sur la signification géographique de ce terme demeure théorique. De
1918 à 2000, des hommes politiques (comme le roi Abdallah Ier de Jordanie et le
Syrien Hafez Al-Assad) et des mouvements (notamment le Parti national
socialiste syrien) ont cherché en vain à créer le Sham et à le dominer (sur ce
sujet j’ai écrit un livre, Greater Syria : The
History of an Ambition, publié en 1990 à la Oxford University Press).
Du fait que l’expression
« Grande Syrie » est un peu lourde, le nom de Daech est simplifié en
« Syrie ». Mais ce nom étant facilement confondu avec l’État syrien actuel,
apparu en 1946, d’autres choisissent de traduire « Sham » par
« Levant ». Même si le terme Levant présente l’avantage d’éviter
toute confusion, il s’agit d’un terme archaïque remontant à ce XVe siècle baigné
d’agréables connotations exotiques tout à fait inappropriées au sanglant Daech.
Ses frontières sont également imprécises et renvoient vaguement aux pays de
l’Orient méditerranéen, c’est-à-dire là où le soleil se lève.
Bref, les deux traductions sont
correctes et précises, elles désignent l’une et l’autre la même zone et
présentent toutes deux des lacunes – l’une se réfère à un État, l’autre à une
entité archaïque. Pour des raisons qui m’échappent, le pouvoir exécutif
américain a adopté la dénomination EIIL (en anglais ISIL), utilisée habituellement
par l’administration même si les membres du Congrès américain, les médias et
des spécialistes (moi y compris) préfèrent généralement la dénomination EIIS
(en anglais ISIS).
Ne nous inquiétons donc pas de la
façon dont on peut traduire Daech et concentrons plutôt nos efforts à
débarrasser le monde de cette menace barbare.
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