Par Abigail R. Esman
Special to IPT News
22 août 2014
Version originale anglaise : ISIS
a Jewish Plot ? Propaganda and Islamic Jihad
Traduction française : Johan Bourlard
Il aura fallu à Yasmina Haifi plus de neuf ans de travail au
sein du ministère néerlandais de la Justice et de la Sécurité pour finalement
découvrir la vérité cachée à propos de l’État islamique : celui-ci n’a
rien d’islamique. Il s’agit en fait d’un complot juif.
Ah bon, vraiment ? Ce groupe terroriste connu
anciennement sous le nom d’EIIL et qui s’est rendu responsable d’actes de
génocide en Irak, de la décapitation du journaliste américain James Foley et du
meurtre d’un nombre incalculable de femmes et d’enfants dans le cadre de la
guerre qu’il mène pour établir un nouveau Califat islamique, ce groupe
terroriste est en fait, selon les révélations de Haifi dans un message
posté récemment sur Twitter, une « idée
délibérément préconçue par les Sionistes pour noircir la réputation de
l’Islam. »
Le chef de l’État islamique, Abu Bakr al-Baghdadi, n’est pas
musulman non plus. C’est un agent
du Mossad.
Tout ceci relève bien évidemment de la théorie du complot et
est à ranger parmi les énormités au même titre que les meurtres rituels ou la
responsabilité des Juifs dans les attentats du 11 Septembre. Et pourtant, chose
étonnante, Haifi n’est pas le seule à y croire : ainsi de nombreux sites islamiques
et islamistes affirment
que l’ancien informaticien de la NSA connu pour ses révélations, Edward
Snowden, est en possession de documents prouvant l’implication des États-Unis,
d’Israël et de la Grande-Bretagne dans un complot visant à créer l’État
islamique dans le but de préserver l’État juif.
Et cela suffit à Haifi. Bien qu’elle ait été licenciée de
son poste au ministère juste après ses déclarations, elle a
par la suite maintenu ses propos
lors d’une interview à la radio : « J’ai lu des articles à ce sujet.
Il existe suffisamment de preuves pour établir un lien entre Israël et
l’EIIL. »
Cela apparaît comme une « nouvelle » surprenante –
et certainement décevante – pour un certain nombre de musulmans, dont Abdoe
Khoulani, chef du mouvement musulman néerlandais Parti de l’Unité (Partij van
de Eenheid), qui, au début de cet été, annonçait
son soutien au groupe terroriste en écrivant sur
Facebook : « Longue vie à l’EIIL et inchâ Allah en route pour Bagdad pour s’attaquer à toute cette
racaille. »
Et comment expliquer aussi tous ces rassemblements de
musulmans en faveur de l’EIIL, à Amsterdam, à La Haye, à Paris et ailleurs en
Europe ? Comment expliquer que ces mêmes partisans de l’EIIL descendent
dans la rue en faisant le salut nazi et en scandant « Mort aux
juifs » ?
L’enchaînement des événements – d’abord l’antisémitisme
exprimé par les partisans de l’EIIL puis l’antisémitisme consistant à attribuer
l’EI à un complot juif – ne fait pas que donner le tournis, c’est également un
procédé perfide qui ne va faire qu’accroître la haine antijuive et la confusion
parmi les responsables politiques, les services de sécurité et la police.
Dans les faits c’est la situation qui se produit actuellement
à La Haye, où le maire Josias van Aartsen n’a
absolument pas réagi face aux manifestants pro-EIIL
appelant à l’envoi de « tous les juifs au gaz » et menaçant
d’exécuter les juifs et les infidèles partout dans le monde. Peu après la
demande des principaux membres du Parlement néerlandais d’écourter ses vacances
et de rentrer au pays pour gérer cette crise, il s’est
justifié de sa décision de rester en vacances
en France pendant les émeutes en disant : « Ce n’était ni le chaos,
ni l’anarchie. Je n’ai pas vu la nécessité de m’abaisser à ce niveau. »
Cela dit, on remarque que de nombreux musulmans à La Haye –
particulièrement ceux qui vivent aux environs des rassemblements pro-EIIL –
voient les choses autrement. Un homme de 34 ans, nommé simplement Brahim, a
déclaré à
un journaliste du quotidien néerlandais De
Telegraaf : « Qu’ils fichent le camp notre quartier sinon des
têtes barbues vont tomber. »
Des Kurdes du quartier se sont plaints aussi. « J’ai
fui l’Irak il y a 14 ans » a dit l’un d’eux au Telegraaf. « Et
maintenant que je suis en Hollande, je suis confronté aux mêmes
fondamentalistes. Personne ne me protège. Les Pays-Bas doivent réagir avec
fermeté avant que la situation ne dégénère complètement. » Brahim
acquiesce : « Qu’on les arrête et qu’on les enferme pour longtemps, s’il
vous plaît. »
Et pourtant cela ne s’est pas produit. Les Josias van
Aartsen d’Occident continuent de négliger l’importance de la menace représentée
par les musulmans radicalisés des grandes villes européennes, des villages
américains et des provinces canadiennes. Pensons, par exemple, à l’ancien
archevêque de Canterbury, Rowan Williams, qui pensait
que les tribunaux de la charia pourraient
« unifier » l’Europe, ou encore à l’ancienne ministre canadienne de
la Justice Marion Boyd qui plaidait pour introduire la charia dans les
tribunaux canadiens de la famille. Ces exemples rappellent les paroles de
sagesse de l’ancien ministre britannique de l’Intérieur, Mike O’Brien, qui, il y
a 14 ans, faisait remarquer
que « la sensibilité multiculturelle ne pouvait pas excuser l’aveuglement
moral. »
Exclure « l’aveuglement moral » n’est qu’un début.
Le fait que le « chaos » n’a pas eu lieu à La Haye le 26 juillet
n’est pas la question. La pire des violences et les abus les plus dévastateurs
ne surgissent pas de nulle part. Ils commencent par des mots et par des
idéologies qui créent ces mots bien à propos. Il peut s’agir de paroles simples
comme « Tuez les juifs » ou complexes comme « Les juifs ont créé
le groupe terroriste de l’EIIL qui décapite des hommes musulmans et massacre et
réduit en esclavage des femmes et des enfants. »
Comme l’observait Brahim, pendant les manifestations à La
Haye, même les petits enfants « avaient un drapeau dans la main et
hurlaient Allahu Akbar » en soutien à l’EI – ce sont ces mêmes
paroles qui attisent la haine et poussent aux cruelles atrocités qui caractérisent
l’État islamique.
Si nous ne restons plus moralement aveugles face aux actions
de l’EI et de ses partisans, où qu’ils vivent, alors nous ne pouvons plus non
plus rester sourds à ces paroles qui, dans leur arsenal de haine et de
violence, constituent peut-être les armes les plus puissantes de leur djihad.
Abigail R. Esman, est rédactrice
indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l’auteur de l’ouvrage Radical State : How Jihad is
Winning Over Democracy in the West [L’État radical ou comment le djihad est en train de
vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire