par Daniel Pipes
National Review Online
15 septembre 2014
Version
originale anglaise : Think Tanks for Sale or Rent
Traduction française : Johan Bourlard
Ce
sont de curieuses révélations qui ont été publiées le 7 septembre dans le New York Times. Dans un article de 4000
mots intitulé « Foreign Powers Buy Influence at Think
Tanks »
[les puissances étrangères achètent leur influence auprès des think tanks],
Eric Lipton, Brooke Williams et Nicholas Confessore se sont penchés sur la
question pour le moins originale du financement des think tanks américains par
des gouvernements étrangers.
Les
trois auteurs ont découvert que, même si l’ampleur de la situation « est
difficile à déterminer » on sait que « depuis 2011, au moins 64
gouvernements étrangers, entités contrôlées par un État ou représentants
gouvernementaux ont soutenu financièrement 28 organismes de recherche de
premier plan basés aux États-Unis. » Utilisant le peu d’informations
disponibles, ils estiment à « un minimum de 92 millions de dollars le
montant des contributions et autres engagements financiers versé par des
gouvernements étrangers ces quatre dernières années. La somme totale est
certainement plus élevée. »
En
échange de ces largesses, les instituts de recherche en question ont accordé
aux donateurs deux faveurs importantes. D’une part, ils ont fait pression sur
leurs propres services à la fois pour « réfréner la critique à l’égard des
gouvernements donateurs » et « arriver à des conclusions favorables
aux gouvernements qui ont procuré les financements ». D’autre part, ils ont
« incité les responsables gouvernementaux américains à adopter des mesures
politiques qui reflètent souvent les priorités des donateurs. »
Résultat : l’argent étranger a semé le doute sur la légitimité et
l’objectivité des recherches menées par les think tanks alors que cet argent
est « en train de transformer de plus en plus radicalement le monde
autrefois très discret des think tanks en un puissant levier de lobbying des
gouvernements étrangers à Washington. »
Voici
ma réponse à cet article qui a fait l’effet d’une bombe :
Certains
de ces financements se sont faits dans l’opacité : des think tanks ont
ainsi perçu des dessous de table alors qu’ils bénéficiaient d’une réputation
d’organismes désintéressés. Parmi les exemples les plus flagrants, citons le
gouvernement du Qatar qui, comme le rapporte le New
York Times, « a envoyé des centaines de millions à Gaza, dirigée par
le Hamas, a encouragé les attaques contre Israël au moyen des tirs de roquettes
et des tunnels » et a également signé en 2013 un accord prévoyant un
financement de 14,8 millions de dollars sur quatre ans au profit de la
Brookings Institution. C’est là que Martin Indyk a œuvré comme vice-président
et directeur du Programme de politique étrangère. Indyk a travaillé pour le
secrétaire d’État américain John Kerry de juillet 2013 à juin 2014 en tant
qu’envoyé spécial pour les négociations israélo-palestiniennes. Dans ces
conditions, comment pourrait-on espérer qu’Indyk, bénéficiaire des largesses du
Qatar au même titre que l’ennemi juré d’Israël, agisse dans un esprit
d’impartialité ?
Le
président du Brookings Institute, Strobe Talbott, ne s’est pas excusé et n’a pas
montré le moindre embarras par rapport au fait que 12% de ses fonds proviennent
de gouvernements étrangers. Bien plus, il a eu l’audace d’affirmer que
« les think tanks devraient percevoir de l’argent des gouvernements
étrangers. » Usant à son profit de termes à la mode tels que « gouvernance »
et de phrases comme « la culture philanthropique est en pleine
mutation », il a naïvement affirmé qu’il est « tout à fait opportun que
nous travaillions avec des gouvernements quand nous sommes en mesure de fournir
une analyse et des solutions à des problèmes auxquels ils sont confrontés dans
la vie politique. »
L’article
du New York Times révèle – chose
surprenante – la corruption d’institutions de gauche telles que la Brookings
Institution, le Center for American Progress et le National Democratic
Institute. Voilà une attitude aussi honnête et respectable qu’inattendue de la
part d’un journal devenu le réceptacle national des banalités creuses et des inepties
de la gauche. À l’inverse, les révélations n’ont pas parlé d’un seul centime
versé à des organismes conservateurs tels que l’American Enterprise Institute,
la Heritage Foundation et le Hudson Institute (si le Times continue à pratiquer un journalisme de ce calibre, je
pourrais finir par payer pour son application pour I-Phone !).
De
la même manière, à propos du Moyen-Orient dont l’article cite plusieurs pays (Bahreïn,
Koweït, Qatar, Arabie Saoudite, EAU) pratiquant ce jeu d’influence et cette
corruption, on ne voit apparaître nulle part le nom d’Israël. Cet exemple
confirme clairement la thèse présentée par Mitchell Bard dans son livre publié
chez Harper en 2010 et intitulé The Arab Lobby : The
Invisible Alliance That Undermines America’s Interests in the Middle East [Le lobby arabe :
l’alliance invisible qui compromet les intérêts américains au Moyen-Orient]. Comme
l’observe Steven J. Rosen, ancien membre de l’American Israel
Public Affairs Committee, « si l’on raisonne en termes de moyens et non de
résultats, le lobby arabe est égal ou supérieur à tout ce qui a été réalisé par
les amis d’Israël. »
En
fin de compte les révélations du Times
ont placé tous les think tanks sur la défensive. Et même si ce sont des institutions
très sélectes comme Brookings qui sont visées, aucun de nous n’est préservé contre
le soupçon. C’est pourquoi l’organisation que je préside (et dont le mot
d’ordre est la « promotion des intérêts américains ») a immédiatement
publié un communiqué de presse « The Middle East Forum Takes No Funds from
Foreign Governments »
[Le Middle East Forum ne perçoit aucun financement de gouvernements étrangers]
déclarant sans aucune ambiguïté que « nous n’avons jamais recherché ni
perçu de fonds d’un quelconque gouvernement étranger ni d’un quelconque agent
au service d’un gouvernement étranger. Et nous ne le ferons jamais. »
D’une
manière générale, comme l’affirme John B. Judis, « le financement étranger
des think tanks corrompt notre démocratie. » C’est pourquoi il est temps que
tous les organismes de recherche qui se présentent comme des fournisseurs
d’analyses objectives, tiennent parole. Sinon, qu’ils indiquent clairement qui
a acheté ou payé leurs conclusions.
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